vendredi 30 juin 2017

Je vous dois un aveu: en dehors des repas, je suis végétarien.

Une bite en anglais

Momo vit la pub dans sa feuille de chou hebdomadaire et craqua immédiatement: il allait, pour pas cher, s'offrir un super-pouvoir de folie. La vision x! Il se posa la question suivante, d'ailleurs: comment se faisait-il qu'il ne voyait pas déjà des milliers de gens, dans les rues, arborant ces magnifiques lunettes que lui proposait cette pub? Oui! On lui proposait des lunettes permettant de voir à travers les objets solides. Les corps, donc! Les corps!

Les corps de femmes...

Partout, le dénuement discret, inconsciemment subi... Les chairs exposées à chaque instant... Momo se dit qu'il allait encore se payer beaucoup de bonnes branlettes, grâce à cette révolution scientifique.

Momo, chômeur en fin de droits, compta son fric. Restait pas grand chose, hein, mais bon, en raclant un peu, il y arriverait. Pas question de laisser passer une occasion pareille. La pub aurait peut-être disparu la semaine prochaine, dans le nouveau numéro de Vie Secrète.

Il fit un chèque, remplit le bon de commande, dénicha une enveloppe un peu fatiguée, entre deux piles de Club pour hommes, écrivit l'adresse, y glissa le chèque (il vérifia encore qu'il était bien rempli, et signé), voulut fermer l'enveloppe mais se rendit compte que son timbre ne tenait pas bien. Malheur! Le timbre allait se barrer quelque part sur le trajet du courrier, la commande ne parviendrait pas au destinataire, il y aurait retour à l'envoyeur et, du coup, adieu les lunettes!

Mais Momo était finaud.

Il se branla en pensant à sa conseillère Pôle Emploi, une petite jeune dans les vingt-cinq ans, un peu déprimante avec sa mine de pépette qui rigole jamais, mais alors bonnasse de chez bonnasse.

Momo éjacula sur le timbre qu'il colla sur l'enveloppe. Concrètement, ce fut Marianne, cette salope jacobine, qui se morfla le bukkake. Momo laissa sécher. Jadis, il avait entendu parler de la "colle Bombard", en souvenir d'Alain Bombard qui, lors de sa traversée de l'Atlantique en solitaire, sur un zodiac, colmatait de petites perforations du canot grâce à son propre sperme, substance réputée très adhésive.

Exact, ça fonctionnait bien.

Sauf que Momo était une bite en anglais. Il ne se rendit pas compte que, dans le texte de la pub, la phrase you seem to be able to look right through the flesh apportait une nuance de taille. Seem, c'est "sembler". "Vous avez l'impression de voir à travers le corps." Il ne prit pas garde non plus à l'évidence: an hilarious optical illusion. Non, Momo ne pensait qu'à se payer de l'érotisme pour pas cher, des cheap thrills, comme on dit. Et puis, si nous poursuivons la lecture de la fameuse phrase, que voit-on ensuite? ... and see the bones underneath. Ca signifiait tout simplement que Momo n'allait pas se mettre à bander devant de la chair appétissante, ou de la barbaque de vieille (Momo était très large d'esprit), mais devant des squelettes animés, puisque bones désigne l'ossature. Underneath, "en dessous", c'est même pas la peine d'en parler. Momo était au-dessus de ça.

Une semaine plus tard, Momo retira un colis de sa boîte aux lettres. Il vérifia l'adresse de l'expéditeur: c'étaient ses lunettes! Fébrile, il appela l'ascenseur; il ne tenait plus en place. Il n'était pas seul à attendre. Dans la cabine, la montée jusqu'à son étage fut une douloureuse épreuve pour ses nerfs. Il se retrouva avec un couple de gens d'un certain âge, très correctement mis quoique de façon simple. C'étaient les culs bénis du septième, monsieur et madame Chais-pus-comment. La cabine était un peu étroite, le couple de retraités fit un peu de place pour Momo après lui avoir dit bonjour du bout des lèvres. Ce type, là, ce Momo, les deux ne savaient pas non plus son nom exact, mais ils savaient que c'était un bon à rien, un alcoolique. 

Dans la cabine se trouvait aussi le trader. C'est comme ça qu'il le surnommait, ce connard en costume-cravate, cette espèce de sursinge à qui tout semblait réussir et qui te regardait toujours comme si tu étais une flaque de vomi. Momo lâcha une louise astrale. La cabine fut immédiatement empuantie. Les autres ne mouftèrent pas mais leurs nez se froncèrent visiblement. En sortant sur son palier, Momo dit, sans se retourner: "Y en a vraiment qui se gênent pas." 

De nouveau dans ses quartiers, il éprouva les plus grandes difficultés à défaire les rubans d'adhésif (plus besoin de colle Bombard, là) qui scellaient fermement le colis. Momo prit des ciseaux, tailla un peu dans le tas, en faisant tout de même attention à ne pas faire un destroy involontaire sur le contenu qu'il savait tout proche, si proche. La béatitude des corps nus. Enfin, il put ouvrir. Un reçu, un emballage de gaze contenant les fameuses lunettes. Ca y était. Après toute une semaine d'attente... 

La monture, c'était du plastique de merde de couleur gris pâle, la forme rappelait les années cinquante-soixante. Taille standard, ça faisait un peu mal derrière, au niveau des oreilles. Momo chaussa la monture. Rien. Les lentilles, une espèce de plexiglass pourri qui avait tendance à brouiller les contours de ce sur quoi les yeux se posaient. Momo fronça les sourcils, se concentra sur son nouveau superpouvoir, sa vision x.

Mais ça venait pas.

Ça venait pas! En proie à une angoisse grandissante, Momo regarda ses mains, sa queue, les murs, tout. Rien. Il ne voyait pas au travers. Il ressortit en toute hâte, marcha comme un fou dans les rues, pénétra dans des commerces, le regard halluciné. Les gens le dévisageaient curieusement. Mais rien, rien. Pas de corps révélés dans l'excitante et inconsciente nudité de la sociabilité diurne. Rien.

Momo repartit chez lui, les larmes aux yeux. Il comprit qu'il s'était fait arnaquer. Il avait envie de casser la gueule à quelqu'un, n'importe qui, le premier qui viendrait l'emmerder pour ci ou ça. Ou alors de voir le monde se désagréger en un ignoble coulis, et de le suivre. Mais Momo ne croisait pas grand monde dans sa vie, hormis dans les ascenseurs. Et rien ne coulait vraiment du béton millénaire et de la solitude en étages. Dehors, le ciel était gris. La journée passait son chemin.

Momo demeura longtemps flasque sur son clic-clac à moitié défoncé.


A l'aide d'un drap, il se pendit dans son studio; ce fut sur les 17h45, d'après l'enquête.

jeudi 29 juin 2017

The Flash #207

Le numéro 207 de The Flash paraît en juin 1971 et sa couverture propose des éléments remarquables. Le titre, d'abord: "The Evil Sound Of Music!" Il se situe délibérément entre deux conceptions antagonistes de la combinatoire sonore (comme c'est bien dit). La première (chronologiquement) est celle qui veut que le rock soit une invention du Diable. C'est plus ancien que cela, en fait: l'"invention" en question remonterait au Moyen Âge. Elle-même dériverait d'une application dérivée, inférieure de l'enseignement pythagoricien.

Un jour, une jeune fille me demanda si le rock (qu'elle aimait beaucoup) était vraiment de nature démoniaque. Je sentis chez elle la même tension que sur la couverture, à ceci près qu'il ne s'agissait pas d'un jeu à fins mercatiques. Il fallait dédramatiser et c'est ce que j'ai tenté de faire en lui répondait que, bien évidemment, c'était la musique du Diable mais que le Diable s'en fichait pas mal, et Dieu aussi, parce qu'ils avaient d'autres problèmes à régler. Je ne sais pas si c'est vrai mais, au moins, je fus récompensé d'un sourire sincère.

L'autre aspect de la tension qu'exprime ce comic book est la volonté de suivre l'air du temps. Juin 1971, donc, c'est-à-dire moins de deux ans après le festival de Woodstock (août 1969). L'histoire de l'éditeur DC Comics montre qu'au cours des années soixante, c'est Marvel Comics, naguère petit rival, qui prend un ascendant sur sa "Distinguée Concurrence", à cause de (ou grâce à) des histoires pas nécessairement plus réalistes mais davantage en prise sur le Zeitgeist ("l'esprit du temps", expression littérale à laquelle on préférera peut-être "l'air du temps"). Marvel n'hésite pas à aborder des thèmes comme la solitude, les difficultés financières, la mort, la ségrégation raciale, la drogue... S'agit-il, de la part de Stan Lee (alors responsable éditorial chez Marvel), d'une démagogie de survie dans un milieu à forte concurrence et dont la volatilité du lectorat est bien connue? Pas impossible mais, par rapport à ce qui nous occupe aujourd'hui, ce n'est pas grand chose. DC s'est vu dans l'obligation de mettre au goût du jour ses personnages, sous peine de ringardisation mortelle.

Superman, Batman, Green Lantern, Wonder Woman, beaucoup y passent. D'autres, moins aisément "maniables" en termes d'image, sont éclipsés. (Je pense par exemple au Martian Manhunter, pourtant membre de la Justice League of America.) En ce qui concerne Flash, rappelons les choses suivantes: sous son identité civile de Barry Allen, policier scientifique, l'homme le plus rapide du monde est ce qu'on appelle à l'époque un square. Ce terme désigne une personne pas "dans le vent". Allen, pendant toutes les années soixante, se balade de numéro en numéro avec ses petits costards proprets, son nœud papillon, sa cravate. En plus, il a les cheveux très courts. Toute la série, à l'époque dessinée par Carmine Infantino, exprime un aérodynamisme vainqueur. Eh bien ça, en juin 1971, c'est plus possible. Ça servirait juste à dézinguer la série. Dans le numéro 207, Allen s'est laissé (un peu) pousser les cheveux. Il porte encore des costumes mais avec un look nettement plus "pop". Quand je relis cette histoire, aujourd'hui, je vois des touches lourdingues dans les dialogues, touches tartinées à la truelle pour que le lecteur comprenne bien qu'Allen est "hip".

Là aussi, s'agit-il de démagogie? DC aurait-il suivi le Zeitgeist si Marvel ne l'avait pas fait? "The Evil Sound Of Music!" C'est une provocation pas stupide, en fait. C'est parfait pour donner envie de voir ce qu'il y a à l'intérieur. Par ailleurs, le monstre de la couverture possède une apparence tout à fait psychédélique (semblant surgir de la tête de sa victime, on pense immédiatement à un mauvais trip au LSD) mais là, je trouve que DC joue un peu avec le feu. En juin 1971, le mouvement hippie commence sérieusement à se casser la gueule, si ce n'est déjà fait. Deux événements l'ont mis à terre en 1969: les meurtres perpétrés par Charles Manson et sa "famille" ainsi que le désastreux concert des Stones à Altamont. Flash restera néanmoins un personnage populaire de l'écurie DC.

Une dernière remarque: notre héros ne dit pas "That nightmare is going to kill my wife.." À la place de "kill", que la commission de censure n'aurait pas accepté, nous lisons "destroy", ce qui était, semble-t-il, plus pudique. Aujourd'hui, ce numéro n'est pas déconseillé à partir de l'âge de douze ans.

mercredi 28 juin 2017

The Fantastic Four #5

  Voici donc la toute première apparition du Doctor Doom (Docteur Fatalis en français), un des grands enculés tragiques de chez Marvel. Pourquoi en veut-il tant aux Quatre Fantastiques, s'il ne les a jamais croisés auparavant ? En fait, il connaît déjà Ben Grimm (The Thing) et surtout Reed Richards (Mister Fantastic) depuis que les trois étudiaient la physique et la chimie dans la même université. Victor Von Doom y rate un jour une expérience dans une grosse explosion, et se ruine la gueule. Grimm, dans son esprit, ne compte pas : c'est un gros con. Mais l'objet de sa haine, c'est Richards. Von Doom s'exilera, lui qui venait déjà de Latvérie, petit royaume d'Europe centrale. Prince gitan, il ne peut sauver sa mère accusée de sorcellerie. Sur le sol américain, il foire ses études, dévoré par un mélange complexe de rancoeur, de désir de justice, de jalousie. Attiré par l'occulte (outre son intérêt pour la science), il reçoit une initiation ultra-secrète dans un monastère tibétain : il devient le nouvel homme au masque de fer. Habile cybernéticien, sorcier accompli, son look technomédiéval inspirera George Lucas dans l'autre saga que l'on sait. Doctor Doom prend le pouvoir dans son royaume et vise désormais la conquête du monde et la destruction de Reed Richards.

  With a turn of this dial, I shall destroy the four of you, forever !!

  Ah oui, on voit bien que c'est pour couper l'air. C'est écrit dessus. Dial, c'est aussi un cadran d'horloge, c'est un verbe qu'on utilise pour dire qu'on forme un numéro de téléphone ; ça vient du latin dies, qui signifie jour (comme dans diurne).

  Richards, lui aussi, a foiré en beauté une de ses expériences. Il embarque sa fiancée, le frère de celle-ci, et un ami, dans une fusée de sa construction mais une fois dans l'espace, ils morflent une bonne grosse dose de rayons cosmiques, ce qui n'était pas prévu. L'engin redescend, se crashe et voici que les quatre compères ont, sous l'influence de ce bombardement particulaire, développé des aptitudes très étranges : Reed s'étire comme du caoutchouc, Sue devient invisible, Johnny se transforme en torche humaine (sans même que ça chatouille) ; quant à ben, le voici, à son grand dam, transformé en tas de briques. On a pas mal spéculé là-dessus : on a dit entre autres que c'était une symphonie élémentale (Reed Richards pour l'eau, Sue pour l'air, etc). Pourquoi pas. D'ailleurs, sur la couverture, Reed dit fort à propos que sa force le quitte, my strength is ebbing, ce qui intéressant car on utilise le même terme, ebb, pour évoquer le flux et reflux des marées (ebb and flow). Ben Grimm, pour sa part, est aussi une variation sur la thématique du golem (c'est, en plus, un personnage de confession juive).

  Sur la couverture de ce cinquième numéro, Richards semble oublier que Doom s'exprime à distance, sur un écran. Le fait de vouloir l'atteindre (I've got to reach him) ne va pas servir à grand chose. Doom vide la pièce de son oxygène. Il faudrait que je relise cette histoire, mais disons que j'imagine très bien ce salaud en train de tourner lentement le bouton, pas trop vite ; il faut bien jouir sadiquement de chaque seconde. Comme je le comprends.

  Richards est la tronche de service, c'est lui qui bavasse le plus, même dans une situation périlleuse. Grimm est plus concis : son I gotta est synonyme de I've got to (il faut que). On saura par la suite qu'il dispose d'une capacité pulmonaire supérieure à la moyenne, donc il pourrait retenir son souffle plus longtemps que ses comparses. Sa force physique lui permettrait également de défoncer sans problème la paroi blindée qui les sépare de Sue. Mais bon...

  On a souvent dit, écrit, que les comicbooks étaient, en gros, de la couille en barre pour adolescents boutonneux, geeks irrécupérables. C'est peut-être vrai, et si c'est le cas, tant mieux. Il n'est pas question que je vous ressemble (cela dit, je n'ai jamais eu de problème de boutons). En revanche, moins nombreux sont ceux qui ont relevé que dès les années cinquante (les Fantastic Four sont apparus au début des années soixante), les équipes créatives avaient tenté de contrer cet argument (qui n'en était pas vraiment un mais qui pesait d'un poids certain dans l'Amérique puritaine) en saupoudrant les histoires de connaissances jugées instructives pour la jeunesse. Il s'agissait de rassurer les parents. C'est peut-être pour cela que Johnny, The Human Torch, dit ce qu'il dit : le môme qui lit cette aventure contre ce salaud de Doom aura du moins appris que l'oxygène est un facteur de combustion. Les douze cents payés à l'époque n'auront pas été dépensés en vain. Cela étant, ce n'était pas la peine de s'envoler pour aller se beugner dans un écran, hein, Johnny boy...

  Et puis ma préférée, la potiche de service, j'ai nommé The Invisible Girl, Susan Storm (à l'époque, elle n'a pas encore épousé mister Richards), curieusement rebaptisée Janet dans la traduction française. Être une femme libérée, tu sais, c'est pas si facile, mais alors jouer les invisibles... On s'est longtemps demandé à quoi elle servait, dans cette série, en dépit de tous les efforts déployés par les scénaristes (Stan Lee le premier, lui qui est co-créateur de la série avec feu Jack Kirby) pour la maintenir au même rang que ses coéquipiers. Ici, sur cette couverture, c'est l'incarnation de l'impuissance, de l'inutilité. Attention, je ne parle pas des planches de la série, c'est-à-dire de l'histoire elle-même, mais bien de la seule couverture. I must get in to save them ! Ben oui, tu veux entrer pour les sauver, mais tu vas faire comment, avec les mains liées ? Et puis tu vas faire quoi, au juste ? Gourdasse ! Et quel intérêt d'être invisible quand les liens qui vous enserrent les mains ne le sont pas et vous font donc repérer malgré tout ? Afin d'accroître la valeur dramatique du personnage, il sera imaginé par la suite qu'elle peut également projeter des champs de force invisibles (ça peut s'avérer intéressant pour contenir des flatulences).

   J'ai une théorie : je pense que Doom a envie de se faire Susan Storm. Ben Grimm aussi, d'ailleurs. Et puis Submariner (Namor, le prince des mers). Elle-même, bien qu'amoureuse de Reed (elle l'épousera tout de même et aura un enfant de lui), n'est pas insensible au souverain des profondeurs. Mais Doom ? Ah Dieu, non, quelle horreur. Avec son masque, son armure, ses doigts métalliques...

  Voire.

  J'ai trop lu d'histoires de persécuteurs sadiques de jeunes filles éplorées soi-disant plutôt prêtes à se suicider que coucher pour qu'on me fasse croire certaines choses. J'attends donc à présent vos fan fictions sur le thème du bondage Victor Von Doom/Susan Storm-Richards.

mardi 27 juin 2017

La roue coule

J'entends dire que les gens ressentent un besoin irrépressible d'entrer officiellement en contact avec leurs frères du cosmos. Comprenons: des intelligences extra-terrestres.

Je lis également, et ce depuis toujours, que l'invention de la roue a été un immense progrès. 
Eh bien non.

L'invention de la roue, comme le fait justement remarquer Laurent James, prouve avant tout que nous ne sommes désormais plus capables de nous déplacer autrement qu'avec ce dispositif (et tous ses développements).

Je suis convaincu pour ma part que notre humanité, avant la roue, a été capable de se déplacer partout. Ce que la Tradition Primordiale appelle l'Âge d'or s'est caractérisé, entre autres, par un rapport très simple, très saint aux univers. Nous faisions usage de pouvoirs qui n'avaient pas besoin d'être recherchés pour eux-mêmes. Nous en disposions naturellement. L'initiation n'était pas nécessaire car tout le monde était initié de naissance, en quelque sorte.

Le rapport au temps et à l'espace ne possédait pas les contraintes qui sont les nôtres depuis que l'inévitable dégradation cyclique s'est fait sentir. Lorsque la roue est apparue, nous étions déjà une humanité bien dégradée. La roue a appelé un accroissement continu de la vitesse. Cet accroissement a fini par imposer l'usage de la vapeur et de l'électricité. Que d'efforts intellectuels admirables, réellement, pour aboutir à des lanceurs orbitaux, pour faire revenir à bon port l'équipage d'Apollo 13...

Et quel appauvrissement. La puante humanité commence à se répandre au dessus de l'atmosphère terrestre. Bientôt, nous ouvrirons et fermerons à volonté des trous de ver, la technologie du pétard au cul sera supplantée parce qu'on appelait autrefois la magie. Pour autant, nous ne réintégrerons pas de cette manière des états qui furent les nôtres aux âges précédents. Aucun universitaire, s'il tient à son poste, n'admettra ce qui s'est réellement produit, jusqu'à l'ultime pointe de vitesse de notre inéluctable déchéance.

Nous continuerons de nous entretuer pour l'extraction de matières premières, d'éléments chimiques spécifiques, aux abords des comètes et des astéroïdes. Les États (mais il en va déjà ainsi aujourd'hui) ne seront que les valets des multinationales.

Quant à nos frères du cosmos, il en est, paraît-il, qui sont bienveillants envers nous. Mais nous tous? Il se raconte aussi, çà et là, que notre planète ne serait qu'un zoo et que ses gardiens se montreraient à nous selon les impératifs d'agendas mystérieux.

Nous ferons crever des mondes entiers rien qu'en disséminant notre morve chez les populations d'autres systèmes stellaires. Peut-être ne faut-il pas que nous, les rougeauds de la viande et du sang, trouvions le moyen de sillonner la galaxie, en attendant plus, toujours plus de ce qui n'est pas un progrès mais la ténébreuse et flamboyante multiplication de notre violence. Peut-être faut-il que les gardiens du zoo incitent les États à s'entredétruire pour du pétrole, du blé, de l'eau, toutes choses proches de notre reptation. 

Seuls certains seraient donc sélectionnés pour quitter la Terre? Et on appellerait cela le nouvel Âge d'or, après l'épuisement de l'Âge de fer? Non. Et c'est là que beaucoup vont se faire bluffer, à mon avis. En effet, je ne crois pas à la "fraternité" systématique des entités extra-terrestres. Gardiens de zoo(s), nazis cosmiques, démons, entités venus d'autres plans de l'existence (et non de tel ou tel secteur de l'espace), je ne sais mais je pense que nous avons encore beaucoup à souffrir avant la réintégration de l'Être. 


Non mais, tu imagines ÇA dans l'espace?...

ALERTE INFO: je suis en train de réparer mon dindoscope. Il va bientôt resservir.
ALERTE INFO: je vois des espèces de fourmis volantes sur les trottoirs.

lundi 26 juin 2017

J'ai l'impression qu'il y a trop de crottes de nez coincées sous mon trackpad.

La planète des profs

Je me retrouve en salle des profs comme si je n'y avais pas mis les pieds depuis des lustres, comme si j'avais séché depuis perpète. C'est toujours le même bordel. Les murs au papier peint beige pisseux laissent complaisamment s'étaler des panneaux d'information en liège, panneaux sur lesquels des notes de service se reproduisent à n'en plus finir. La pièce n'est pas grande et très encombrée de vieux mobilier, de la boiserie administrative d'après-guerre, et des classeurs métalliques. Des annuaires, des référents de diplômes, du courrier, d'autres notes de service, des classeurs cartonnés, des chemises: c'est le bordel absolument partout. Des bipèdes se trouvent dans la pièce. Ces formes de vie sont censées être des collègues. Ils ne m'adressent pas la parole. Je ne m'occupe pas d'eux. Je suis arrivé là après une sorte d'errance douloureuse et ouatée dans les méandres de l'établissement, par l'entremise de mystérieux raccords (des ponts d'Einstein-Rosen?) qui m'ont fait quitter la ville sans presque m'en rendre compte, sans avoir pris les classiques transports en commun. Je me pose dans un coin. Je ne sais à vrai dire pas trop ce que je fous en ce lieu. Soudain, je morfle un direct à la conscience, j'en manque tomber à la renverse: j'ai pas fait le CCF des Term BEPA LV2! Putaaain... Et on est presque à la in de l'année scolaire... Le CCF: Contrôle en Cours de Formation, invention pédagogole d'une naine trotskyste à qui j'eus l'heur de fortement déplaire (dès le début). 50% du diplôme en CCF, 50% en épreuves terminales. Les deuxième année de BEP y ont droit aussi, en LV2... C'est un écrit... Tout à coup (encore, oui): deuxième pain dans les neurones. J'ai pas encore corrigé le CCF des Term BEPA LV1! Meeerde... Il a été fait, celui-là (un écrit également), mais comme d'habitude, j'ai traîné, je me suis branlé ou plutôt, je n'ai rien branlé, je n'en avais rien à branler, j'ai branlé autre chose... N'empêche, ce retard à rattraper... Je vais devoir me fracasser tout ça en un temps record et encore, je ne sais même pas si je suis toujours dans les clous, administrativement... Faire des avenants au PPF (Plan Prévisionnel de Formation)? En cette fin de cycle? Impensable.

Et puis, sans prévenir: troisième choc. Et ça donne:

Mais qu'est-ce que j'en ai à foutre, de toutes ces conneries?

Pourquoi est-ce que je m'emmerde avec ça?

JE NE SUIS PLUS TENU DE M'OCCUPER DE CES CHOSES.

Je repars, dans l'espoir de me choper un trou de ver, une transition sensible mais frappée du sceau de mon étrange cohérence (tant pis, sinon, je prendrai un TER) qui me ramènera en ville. Où je pourrai me manger une pizza!


 

dimanche 25 juin 2017

Étron, étron, petit patapon



Le petit étron flotte dans la cuvette des gogues. Ça fait trois fois que je tire la chasse mais rien à faire, je suis confronté à un caca insubmersible. Je m'empare de la balayette, maintiens le truc sous l'eau, du mieux que je peux, tandis que je tire une quatrième fois. Ça produit le bouillon habituel mais il a tout de même fallu que j'attende un peu pour que ce soit de nouveau rempli et, bien entendu, ce n'est pas moi qui paierai la facture. Néanmoins, la tension grandit car j'entends quelqu'un frapper, de l'autre côté. Une voix niaise: "C'est occupééé?" "Putain mais merde, vous voyez pas que c'est code rouge?!", je réponds à travers la porte. Je retire de l'eau la balayette et constate que le merdaillon est toujours là. Je repose le truc dans son socle de plastique, sors des chiottes, tombe sur une espèce de chouette, la bouche réduite à un mince trait horizontal. "Ben c'est libre, maintenant, chère madame." Ça daube à mort, je n'ai pas ouvert le vasistas et je pense que la vioque va faire un infarctus en découvrant le petit visiteur.


Vous pouvez me dire ce que vous voulez mais ce sont vos chats qui vous possèdent.
"Comme parcours, j'ai fait l'ESAD...
— École Supérieure d'Administration Différenciée?
— Ouais. Et toi, t'as quoi?
— Ben, j'ai fait l'ESAD, mais c'est pas la même.
— Ah? C'est quoi, la tienne?
— Eat Shit And Die."

samedi 24 juin 2017

The Secret History of the Gnostics, d'Andrew Phillip Smith

 
Si le Gallois Andrew Phillip Smith ne se considère pas comme un gnostique, il n'en demeure pas moins que ce courant religieux est une influence majeure de sa bibliographie. The Secret History of the Gnostics (sous-titre : Their Scriptures, Beliefs and Traditions), paru en 2008, n'est pas son premier ouvrage sur le sujet mais, comme il l'indique sur son site, celui dont il conseille la lecture, en guise d'introduction, à toute personne intéressée par le sujet.

Le gnosticisme (du grec gnosis, « connaissance ») a connu beaucoup de courants, fait l'objet de persécutions depuis les premiers temps du christianisme jusqu'au moyen âge, avec l'éradication du catharisme (mais, hélas, pas seulement). Cela dit, l'absence d'une centralisation pastorale fait que l'une ou l'autre de ces variantes a toujours pu revoir le jour, ici ou là. C'est encore vrai de nos jours.

Grosso modo, aux yeux d'un gnostique, le Dieu créateur de l'Ancien Testament n'est pas le Dieu ultime, primordial (la coexistence des termes « ultime » et « primordial » n'est pas un oxymore) mais un démiurge incompétent, ce qui expliquerait qu'ici-bas, nous vivions et mourions dans un monde de merde. Les anges de ce démiurge (les archons) ne seraient pas là pour nous aider mais pour nous enferrer encore davantage dans l'illusion. Dans cette lutte, d'autres êtres issus du Plérôme (station spirituelle supérieure) nous viennent en aide : ce sont les éons. Nous ne sommes pas très loin du thème de Matrix, dont le sous-texte gnostique a marqué les esprits (la fameuse pilule rouge) sans qu'il ait été besoin d'une quelconque dénomination religieuse officielle, déclarée. Chassez la gnose par la porte, elle revient par la fenêtre.

Smith (et non l'agent Smith), puisqu'il s'agit d'une présentation générale de cette école de pensée, tente avec succès, dans cet ouvrage, d'offrir un texte dûment étayé par nombre d'études antérieures et aussi, bien entendu, par la littérature gnostique retrouvée en 1945, dans une jarre, à Nag Hammadi (Égypte). Il n'est pas question pour lui, en revanche, de dessécher sa substance par un excès de formalisme universitaire. Qu'on me comprenne bien : je ne suis pas en train de dire que ce bouquin a été torché à la va-vite. Il est au contraire rédigé de façon accessible à toute personne ressentant le besoin d'aller visiter une zone théologiquement condamnée mais pour laquelle un regain d'intérêt significatif se manifeste malgré tout depuis quelque temps. Smith passe en revue la conception de Dieu dans le gnosticisme (qui n'est pas du tout un négationnisme), la distribution de ce courant dans différentes sectes (mot à prendre ici dans son sens historique originel) : Séthiens, Valentiniens, Bogomils, Cathares... Il étudie également les grandes lignes de la psychologie gnostique, l'interprétation gnostique de la Bible (donc les deux Testaments), la pratique religieuse concrète, les origines du gnosticisme puis la variante particulière que fut le manichéisme. Enfin, Smith se penche sur la transmission des connaissances (en termes de générations et d'espaces géographiques), le destin tragique des cathares et celui, très incertain, du dernier courant gnostique actuellement constitué en Église, le mandéisme.

L'auteur conclut son livre en insistant sur le fait, souligné plus haut, que ce mouvement est toujours susceptible de perdurer, voire de connaître d'autres floraisons. Ce peut être par le biais du cinéma, de la littérature, de la bande dessinée, de la musique... Tout, à la limite, peut être « gnostique » ou se voir rattaché à cette orientation, ce qui peut se révéler problématique ou engendrer une impression de dilution qui ne signifierait plus grand chose. D'où l'intérêt de bien connaître les bases de cette tradition. C'est ce que propose The Secret History of the Gnostics. Personnellement, outre ce livre, je recommande aussi la lecture des ouvrages et du site internet de l'essayiste Pacôme Thiellement. Outre le fait que là, tout est en français (!), il est très au fait de la question et de ses prolongements dans la pop culture.
Je ne suis pas un ouroboros. Plutôt un ouroboloss.
ALERTE INFO: tout à l'heure, je me suis débarrassé d'un bout de feuille de salade dans mes dents.

vendredi 23 juin 2017

Les shorts ultracourts



On m'a soumis, hier, la question des shorts ultracourts, plus précisément de leur impact esthétique, émotionnel sur les observateurs concernés. Pris de court, voire d'ultracourt, par la question, de surcroît abruti par la chaleur de cet après-midi de juin, il me semble avoir balbutié des platitudes. La chose peut-être la plus intelligente que j'aie répondu tournait autour de la notion de corps-marchandise dans la civilisation capitaliste. J'ai également évoqué l'hypocrisie, la misogynie (la mienne), le supplice de Tantale et, tout bêtement, la température caniculaire.

Je repense aujourd'hui à cet entretien que Serge Gainsbourg donna en 1968. À partir de neuf minutes et trente-trois secondes, il y est question des femmes contemporaines. On sera peut-être surpris d'entendre, dans les propos de Gainsbourg l'iconoclaste, des opinions assez conservatrices. Personnellement, non. Je les transpose en 2017, pour voir ce que ça donne, et je ne trouve pas grand chose à changer.

Mon interlocuteur d'hier me fait l'honneur de me lire et je l'en remercie. C'est en pensant à lui que j'ai remis en ligne Mater des culs, texte écrit en juin 2011, c'est-à-dire presque un an après ma mort administrative et sociale. On peut regarder une peinture, celle-ci semble étrange, disons qu'elle a ses caractéristiques. L'artiste ne lui ressemblera pas forcément. Mon interlocuteur me lit et moi, je l'écoute avec attention. Dans quelle mesure ce raisonnement s'applique-t-il à ce texte ? Voire à tous mes textes ?

En tout cas, il me semble que nous ne comprenons plus rien à la sexualité, au désir. Il paraît qu'il n'existe en définitive qu'une seule sexualité. Je n'aime pas ce réductionnisme biologique. Je me demande si ceux qui le mettent en avant sont (ou ne sont pas) à deux doigts de cautionner la pédophilie ou la zoophilie. Je me demande par ailleurs s'ils ne confondent pas (délibérément) désir sexuel et libido. La libido n'est pas nécessairement sexuelle et c'est elle, je pense, qui est unique et se manifeste, entre autres, dans le désir sexuel. Un burger bien gras (ou un américain) qui m'attire, c'est charnel mais pas sexuel. Derrière cela, derrière n'importe quel désir se tient, se fait sentir la quête de la Plénitude Perdue, ce que Martinès de Pasqually, en son temps, appela le désir de réintégration de l'Être.

Plusieurs sexualités. L'orientation sexuelle. Il y a ce que j'appelle les homosexuel(le)s véritables et ceux fabriqués, en quelque sorte, par les médias et le gauchisme. LGBT Pride à Strasbourg, il y a quelques années : au beau milieu du cortège, la banderole des jeunes du PS, section Alsace. Qu'est-ce que ces connards faisaient là sinon de la « pédagogie » ? L'hétérosexualité, c'est le Mal. L'homosexualité, c'est le Bien. Virez votre cuti, c'est la liberté et, en plus, on vous accordera peut-être un prêt pour votre appartement, une promotion dans votre service. C'est pigé, les lumpen ?

La Plénitude Perdue : l'état qui fut celui de notre humanité avant ce que certains appellent la Chute. La Chute dans la mort, le temps, la merde, l'entropie. Si j'étais gnostique, je dirais que nous nous trouvons prisonniers dans le monde créé par le Démiurge, alias le Dieu de l'Ancienne Alliance (au minimum). Mince, le Serpent, le Tentateur, serait lui-même le Démiurge ou alors les Archons, messagers (anges) du Démiurge, en auraient fait un salaud pour les siècles des siècles ?...

L'androgynie primordiale est à mon avis la forme réelle de l'être humain. Nous en portons des vestiges : qu'on m'explique comment il se fait que les hommes ont des seins qui ne leur permettent pas d'allaiter, et les femmes un clitoris qui ne leur permet pas d'engendrer. Je crois savoir qu'un fœtus, du moins au commencement de la gestation, porte la marque des deux sexes. C'est un androgyne. Ces choses existent depuis le début de la Chute, ce désastre ontologique, autrement dit depuis fort longtemps avant les LGBT Prides. Et encore, même avant la Chute, il se produit déjà une sorte d'éloignement par rapport au Principe : c'est la création d'Ève à partir d'une côte d'Adam. Puisque « homme et femme il les créa »... Si l'Ancien Testament rebute, ce n'est pas grave. Il vous reste quand même Phèdre et Le Banquet, de Platon. J'en devine certains : « Mais pour qui il se prend, ce Sunderland, à se la péter prof alors qu'il critique les gentils jeunes socialistes ? »

C'est que, voyez-vous, à vos banderoles je préfère les phylactères et que l'entreprise de gogolisation générale et terminale ne m'empêchera jamais de bouffer un burger huileux, à cuisson unique (c'est de la viande surgelée, dans les fastefoudes), tout en relisant le Pentateuque, Platon, Martinès et les autres.


 
Je suis à la recherche d'un site de cam sans sexe, sans bullshit, et même sans humains.

jeudi 22 juin 2017

Mater des culs



Tu vois, aujourd'hui je me détends, je suis posé à une terrasse, je bois mon énième thé turc gratos (parce qu'on me connaît et que je suis gentil). Et je passe le temps en matant des culs. J'adore faire ça. Je n'attribue pas forcément de notes et d'ailleurs, j'évalue aussi - de manière non sommative - les nibards. Afin de rassurer tout le monde, mon regard ne se porte pas exclusivement sur les fortes poitrines.

Mais cet après-midi, je me concentre davantage sur les culs. J'en vois de très sympathiques, bien découpés dans leurs jeans ou autres pantalons de toile. Des culs pressés, avec de belles fesses gigotantes, et des culs indolents, estivaux. Les nibards, tu as envie de les prendre dans tes mains, de face, et de les malaxer sans ménagement, comme un gros porc que tu es. Mais les culs, c'est bien aussi pour leur mettre la fessée. Très fréquent, ça, dans les films de... cul, justement. Une bonne claque sur le dargif de temps en temps, tout en saillant la gueuse, hein salope haan, tu aimes hein, redis-le moi.

Bien sûr, en terrasse, il faut savoir se tenir. On est des porcs dans un monde de garces, tout le monde le sait (sauf les humanistes-idéalistes à abattre d'urgence), mais on apprend à donner le change. Ce qui est bien cet après-midi, c'est qu'il y a un bon orage sur la ville et, du coup, avec les culs tu as en prime un concours de miss t-shirt mouillé.

On est vraiment des obsédés, hein?



Les flatulences en contexte caniculaire mettent un temps certain à se dissiper.
La stridence des martinets, dès le matin, est un couteau dans le crâne envapé.

mercredi 21 juin 2017

Momo laisse faire



Momo dort sur le dos, abruti par la nuit caniculaire. Il s'est couché vers les deux heures du matin, après avoir longtemps hésité entre deux vidéos de cul sur lesquelles se branler. Momo ne sait pas faire grand chose mais il dispose d'un ordinateur et sait se connecter tout seul. De toute manière, il a le temps, si ce qu'il cherche ne vient pas tout de suite, ce n'est pas grave. Momo est sans emploi et entend bien le rester.

C'est le début de l'été. La poussière et les acariens s'épanchent en lents remugles d'un bout à l'autre du monde de Momo; dans le studio qu'il loue tant bien que mal, la baie vitrée n'a pas de volet et, comme elle est orientée à l'est, dès le petit matin il se prend le soleil dans la gueule, malgré un grand rideau de velours rouge qui court d'un mur à l'autre. La propriétaire ne passe qu'une fois par an : c' est une vieille femme obsédée par l'argent et le doré, le faux cristal au plafond, le faux or sur les poignées de portes. Le goût de chiotte.

Depuis la dernière visite de la vioque, il y a eu un peu de changement : à présent, les lattes du canapé cuir beige diarrhée sont défoncées. C'est également un lit mais, du coup, Momo ne peut plus le replier. Un jour, il s'est laissé choir sans retenue et crrrronk. Il dort dans un énorme creux, en travers, avec des choses pointues qui lui massacrent la colonne vertébrale lorsqu'il ne parvient pas à se caler dans une position moins inconfortable.

C'est l'été, ça sent déjà la merde surchauffée dans les rues, au petit matin. Ça ne va tarder à remonter jusqu'à son cinquième étage mais pour l'instant, le corps gluant de sueur contre le cuir détrempé, Momo dort. Sauf qu'il se réveille. D'une façon qu'il n'avait pas prévue.

Le chatouillis est discret mais on ne peut plus présent, sur la jambe gauche. Momo conserve l'immobilité, se demande ce qu'est cette petite démangeaison. Il se redresse lentement dans le demi-jour du rideau rouge. Le soleil le frappe par la gauche. Une fois sur les coudes, la transpiration accumulée par les heures se met à descendre en sillons gras sur son front. De son bras droit, il allume une petite lampe de bureau, achetée d'occasion, qui fait avant toute chose office de lampe de chevet. De la chaleur s'ajoute à la chaleur. Momo lâche une caisse profonde qui s'en va résonner dans les entrailles défoncées du canapé.

La blatte avance péniblement sur sa jambe. Pour elle, ça doit être l'enfer amazonien : terrain visqueux de sécrétions malodorantes, chemin à frayer au milieu de poils dont le noir tranche sur la peau sans bronzage de Momo, blanche comme une chair de poisson mort quoique rehaussée par l'éclairage de l'heure.

Momo laisse faire. Ce n'est pas la première fois qu'il croise ces bestioles. Il en dégomme régulièrement dans son studio. Elle se planquent près du petit frigo, de l'évier, ces salopes. Là où elles sont franchement connes, c'est quand elles gravissent le mur blanc. Momo sent leur présence, même sans les voir, mais elles compensent leur outrageante visibilité par une promptitude singulière à se barrer vite fait quand surgit la menace d'une pantoufle. Momo marche dans des pantoufles trouées qui sentent le fromage, mais ça le fait quand même. Il faut juste le bon angle d'attaque, le bon juger, et une vitesse encore supérieure à celle de l'adversaire.

Oui, aujourd'hui, Momo laisse avancer la visiteuse. Il reste immobile, se prend pour un ninja capable de résister à tous les chatouillis de l'Enfer. Il s'imagine ancien disciple d'un monastère secret dans le trou de balle du Népal, ou du Cantal. Très attentif à toutes les sollicitations sensorielles, il écoute également avec concentration les bruits de l'extérieur, comme par exemple les ambulances insomniaques, aux sirènes terminales, qui s'en vont ramasser les premiers asphyxiés du jour. Pendant ce temps, la blatte poursuit sa progression. Les voisins du haut sont en train de baiser : il entend que ça gémit crescendo.

Elle a tout de même réussi à grimper sur ma queue, se dit Momo. C'était l'objectif. Elle a de la place, la garce. Elle peut me remercier d'être en érection. La cancrelatte, se dit Momo, je vais lui mettre une latte, mais pas tout de suite. L'autre, intriguée, monte, se perche conquérante, descend, fait le tour, s'arrête, palpe le paf de ses antennes curieuses. Momo ne débande pas, bien au contraire.

Momo laisse faire.

Au bout de dix minutes, un geyser de foutre, le Vieux Fidèle du Matin, gicle du membre rance de Momo. La blatte, sentant le terrain se dérober brusquement, prend ses pattes à son cou (ou ce qui en tient lieu), redescend à toute vitesse par une couille tandis que Momo pousse deux ou trois aarrrh aarrrhhhh. Cette fois, il quitte la position allongée. Sa copine se repose un peu plus loin, sur le bord du matelas-monde. Momo se ravise. Il ne va pas la frapper, finalement. Il pisse de sueur, ça lui rentre dans les yeux, il ne voit plus très bien. En plus, comme il vient de juter, il est convaincu qu'il ne sera pas assez rapide pour l'atteindre. Prudemment, sans faire de mouvements trop vifs, il se lève. Ses pieds entrent en contact avec les carrés de moquette en faux poil de sanglier. À cause de cette couleur, c'est plus difficile de repérer les intrus de ce genre. Sous l'évier, il déniche sa bombe d'insecticide. Revenu au matelas (le chemin n'est pas long), il envoie les gaz un peu au hasard, dans ce qu'il suppose être la direction où se trouve sa cible ; il espère que cette dernière est restée immobile pendant qu'il s'équipait.

Sa queue se souvient encore de l'indicible volupté de cette promenade d'insecte ; mais Momo, comme tous les humains, se désinvestit très rapidement (là-haut, les voisins ont fini de baiser). En plus, l'autre n'a pas bougé et morfle direct le jet sous pression. À l'odeur de sperme, de sueur et de cul qui règne dans le logement s'ajoute à présent la fragrance chimique de l'insecticide. Momo transpire de plus belle et manque jouir une deuxième fois, quasiment dans la foulée, à la vue de la blatte qui remue furieusement ses antennes. Momo, comme hypnotisé, la regarde s'éteindre. Au bout de quelques instants, c'est fini.

Momo va remettre l'insecticide sous l'évier, puis revient s'asseoir sur une chaise. Il n'en a pas bien conscience, mais il va rester immobile pendant de longues minutes, perdu dans la contemplation de cadavre de l'insecte. Il ne dit rien, ne pense plus. Tout juste si, par moments, il prête attention à ses flatulences, ou aux protestations de son estomac vide.

Passées quelques heures à peine, le corps de la blatte entre en décomposition. Momo s'en étonne : il en a déjà tué, de ces saletés, à l'insecticide, à la pantoufle, mais jamais elles ne sont parties en sucette comme ça. Momo observe toujours les cadavres de ces cafards qui ne ressortent plus vivants de son studio quand ils ont eu le malheur d'entrer dans celui-ci, il ne prend aucune note mais sa mémoire retient fidèlement les circonstances de leur fin. Eh bien, ils ne se décomposent pas, d'habitude. Sauf que là, pour la première fois, il constate de l'inédit : très vite, il ne reste plus qu'une espèce de petite bouillie couleur de rouille. Momo, fasciné, n'y touche pas. Sa transpiration imprègne la chaise.

Le soir de ce même jour, toujours assis, les fesses bien endolories de n'avoir pas bougé, il se met à pleurer doucement.



mardi 20 juin 2017

L'ami américain (2/2)



Et le voici donc, bien gras, sous mes yeux, posé sur une table de bois qui n'en demandait peut-être pas tant. L'ami américain. Sortant de la gare, j'ai pris l'habitude, une fois mon bordel déposé dans ma chambre, de ressortir dans la misère du dimanche soir et d'aller m'échouer à quelques mètres de mon QG de campagne, à l'accueil de ce snack où ne sont vendues que des denrées à emporter.

Je ne m'y suis pas mis tout de suite, cependant. Il y a peut-être plusieurs raisons à cela car ma mémoire me fait un peu défaut. Première possibilité : le snack n'existait pas encore. Deuxième possibilité : je me rendais peut-être (à pied) au restaurant universitaire le plus proche, qui n'était quand même franchement pas dans le quartier. Troisième possibilité : il y avait bel et bien un point-bouffe pour étudiants mais celui-ci était fermé le dimanche. Quatrième possibilité : j'ai toujours eu du mal à changer de routines (pas de rustines, hein).

Il est beau, pas cher, bien lourd, enveloppé dans son cellophane. Assis, je m'autorise une coulée de bide plus confortable en dégrafant ma ceinture et j'attaque. Non seulement, l'ami américain me cale, me fait éructer mais en plus, il représente à mes yeux un retournement conscient du désespoir contre lui-même. Oui : quitte à me retrouver tous les dimanches dans cette désolation urbaine, autant en rajouter avec du gras, autant bien explorer cette désolation plutôt que de tenter la « positivité », cette fadaise pour conseilleurs pas payeurs. Je n'avais pas envie d'aller à contre-courant.

L'ami américain est un peu une boussole, le point fixe à travers les saisons. J'ai parlé hier de mélancolie à tir rapide. C'est littéralement une question de perspective. L'avenue dont je n'aperçois pas le terme, les maisons plus ou moins basses, les constructions plus ou moins anciennes. Sur la droite, la station-service, le mur du lycée privé. Quand il fait chaud, il y a comme la montée verticale d'une souffrance, dans le sillage des flux thermiques. Toute la matière gémit en silence. Le monde est sans téléphones portables, sans internet, sans Skype ! Je ne croise personne. À peine quelques véhicules appuient-ils sur la blessure ambiante en déplaçant un peu d'air. Quand la saison est à l'obscur pour cause de soleil démotivé, tout se tasse, tout se replie froidement pas plus haut que les toitures et je me demande comment je devrais m'y prendre s'il me fallait (mais pour qui?), dans cette nuit, dans ce mou Big Crunch ontologique, retrouver d'éventuels vestiges d'une vie redescendue à l'état cotonneux de rêves anesthésiés. Oui, l'ami américain du dimanche soir me sauve.

Un de ces quatre, je vous parlerai peut-être aussi d'une amie américaine que j'ai eue, pendant quelques minutes, mais dans une autre ville et dans des circonstances différentes. Ce que je peux déjà vous dire, c'est que je ne l'ai pas mangée.







lundi 19 juin 2017

L'ami américain (1/2)

On m'a signalé tout à l'heure que si, en Belgique, je désirais manger un tartare, je devrais commander un américain.

En France, l'américain désigne une merveille diététique absente de mon régime depuis trop longtemps. Cette histoire de bouffe m'a remis en mémoire une époque, désormais un peu lointaine, où, en conformité avec ce qui était alors mon statut d'étudiant, je descendais régulièrement d'un train, le dimanche soir, toujours à la même heure, pour être accueilli par une ville remarquablement hideuse et triste.

Aujourd'hui, j'ai un peu trop vite tendance à voir cette période sous un éclairage négatif mais il y a fort à parier que je me dissimule la vérité: déjà, en ces années, je prenais un malin plaisir au spleen. Cette cité à longue tradition communiste n'en manquait pas et je pense que, d'ici à ce que j'aie fini ce texte, toute l'envergure de mon plaisir délicat quoique douteux va correctement me sauter à la gueule.

Voyez comme à partir de pas grand chose, je me mets à déblatérer... Qu'est-ce que je ferais pas pour alimenter ce blog de merde que je viens de réactiver...

Je dois quand même préciser tout de suite que je n'ai rien contre la Belgique ni contre la personne qui, sans le vouloir, m'a assis dans mon chronogyre personnel à destination du passé.

Et puis, j'ai toujours aimé les américains. L'américain: une baguette de pain ouverte et dans laquelle on entasse un maximum de frites et de merguez. Mais reprenons dans l'ordre. Le chronogyre me dépose puis me reprend rapidement, toujours au même endroit, toujours un dimanche soir, sauf qu'à chaque fois, l'éclairage diffère, parce que ce n'est pas à la même saison. C'est de la mélancolie à tir rapide.

Le quai, la gare: quasiment personne, quelle que soit l'époque de l'année. Le décor n'a rien de fantastique au sens littéraire, c'est juste un immense appel à se faire chier. Je réponds bien vite à ce désespoir urbain (ou cet urbanisme désespéré).

Deux options s'offrent à moi. Soit je prends la voie longue en passant par le hall de la gare. Avec un peu de malchance (non: de volonté faible), je vais me prendre un bouquin de cul au point presse (qui s'appelle encore uniquement "marchand de journaux", à l'époque). Ce sera aussi déprimant que la seconde option: quitter de suite l'enceinte de la gare en prenant une sortie latérale, petite et largement ignorée. L'inconvénient, c'est que cela va m'obliger à gravir un petit crinquet de rue (les voies étant surbaissées) avec mon sac (pas encore à roulettes, à l'époque) et mon cartable mais je choisis l'option deux.

Le trottoir est défoncé, les arêtes de sa bordure sont usées par le temps, la pluie. La mort ajoute quelques touches finales avec des coulées de pisse çà et là, des merdes et la patine lugubre des maisons de brique rouge. 

Arrivé en haut, je débarque sur l'avenue où, à faible distance, se situe ma chambre d'étudiant. Vous allez me dire: mais l'américain, dans tout ça?

L'avenue est longue, très longue, je n'en vois pas le bout. Je n'ai jamais cherché à l'explorer et c'est pour cela que j'en rêve de temps en temps, mais de façon frappante, depuis que je n'y vis plus. Dans ma curieuse existence onirique, tout cela se recrée. Dans ma curieuse vie de jeune maladroit à prétentions intellectuelles, concrètement, l'avenue a beau être longue, affligeante d'entropie, délicieusement désolée, elle recèle un snack de bouffe à emporter à pas trente mètres de ma piaule!

(à suivre)



dimanche 18 juin 2017

A Trojan Feast, de Joshua Cutchin (Anomalist Books)

Cette note de lecture est également lisible sur Mauvaise Nouvelle.

Dans ce qui constitue son premier ouvrage, Joshua Cutchin, natif de la Caroline du Nord, s'intéresse à un aspect particulier du problème ovni, à savoir ces nombreuses expériences au cours desquelles les contactés (ainsi que les personnes enlevées) se voient offrir par les supposés extra-terrestres de la nourriture et de la boisson.

Cette facette de l'énigme peut sembler insignifiante, indigne d'intérêt ou trop obscure pour qu'on s'y arrête mais il n'en est rien. Cutchin établit un parallèle entre ces rencontres, qu'on pourrait qualifier de « modernes », et les vieux récits folkloriques faisant état d'incursions dans le monde du « Petit Peuple », autrement dit des fées, lutins, gnomes, trolls, etc. Ce corpus légendaire s'étend sur toute la surface du globe et offre des similitudes significatives avec les témoignages de contacts établis par des intelligences semble-t-il non humaines. La surprise de cette découverte est à la mesure du délaissement de nos racines et de notre méfiance face à tout ce qui ne rentre pas dans le cadre d'un journal télévisé standard et neurophage.

Cutchin n'est pas le premier à avoir emprunté cette route. Ses travaux, en effet, s'inscrivent dans le droit fil des recherches menées par l'astrophysicien Jacques Vallée. Ce dernier a mis en avant le « scénario mythologique » informant bon nombres de rencontres rapprochées. Cutchin, néanmoins, ne démérite pas : le sujet est bien plus complexe que ce qu'on a peut-être cru à l'époque des premières enquêtes sérieuses sur le phénomène ovni ; par ailleurs, les observations et expériences de ce type ne connaissent pas de décrue. On pourrait objecter que Cutchin n'est pas, initialement, un spécialiste de cette question mais, de toute façon, personne ne l'est. Son approche, outre ce qu'elle doit à des chercheurs comme Vallée, Micah Hanks ou Richard Dolan, s'apparente aussi à la quête de connaissance que mena en son temps Charles Fort, pionnier de ce qui allait devenir, en hommage à son entreprise, les études fortéennes.

Si ce n'était qu'une affaire d'intelligences venues d'une autre planète afin de nous étudier ou de nous aider à progresser, nous serions déjà impressionnés, beaucoup de structures politiques et de dogmes seraient remis en question mais, au niveau de l'individu, ce fin mot de l'histoire resterait malgré tout « digestible ». Le problème, que montre de façon magistrale A Trojan Feast, c'est qu'à ces manifestations s'associe toujours une grande étrangeté (high strangeness) que le seul paradigme scientifique routinier ne saurait contenir. Il se peut d'ailleurs que ce soit la raison véritable pour laquelle les populations civiles ne sont pas là d'assister à ce qu'on appelle en anglais (parce qu'on l'envisage ou l'espère surtout de la part des États-Unis) a disclosure, c'est-à-dire l'annonce officielle d'un contact ou d'une présence extra-terrestres. Rien ne dit cependant que ce paradigme ne va pas changer un jour ; il est peut-être même déjà en train de se modifier tout doucement dans certains milieux universitaires (comme le montre la récente interrogation, menée depuis Harvard, sur les Fast Radio Bursts).

Lorsque nous revenons à l'angle d'approche privilégié par Joshua Cutchin, nous nous retrouvons face à un impératif très simple mais très important : comprendre le langage symbolique du mythe, puisqu'il s'agit d'un des deux termes de comparaison. Nous n'avons peut-être pas d'autre moyen que de partir du connu pour aborder l'inconnu. Encore faut-il que ce « connu » le soit vraiment ! Est-ce si évident au sein de la crétinisation ambiante ? Est-ce réservé à tous sans distinction ? (Vous avez raison : je ne suis pas gentil.) Cutchin émet l'hypothèse que le langage symbolique serait la seule façon dont disposeraient des intelligences extra-terrestres (ou extra-dimensionnelles) pour communiquer avec nous. Mais savons-nous réellement, sans qu'il soit même question d'étrangeté, ce que signifie dans son principe, antérieurement à l'application au seul domaine de la biologie, manger et boire ? Qu'y a-t-il derrière le mythe ? Quelle vérité sans la dissimulation et le dévoilement simultanés qu'offre tout symbole ? Qu'y a-t-il derrière la « nourriture » et les « boissons » que nous autres Terriens sommes invités à consommer dans le folklore du Petit Peuple et lors de nos rencontres, de nos jours, avec des intelligences non humaines ? Quelle est même la nature véritable du décor de ces événements ? (Je pense au cas, mentionné dans le livre de Cutchin, de ces automobilistes américains prenant un « repas » dans un curieux diner, sur le bord de la route, avec expérience de distorsion temporelle.) C'est ainsi que l'on peut comprendre le titre de l'ouvrage, A Trojan Feast : celui-ci fait allusion à l'anglais Trojan horse, cheval de Troie. (Ici, la langue française nous gratifie, en plus, d'un intéressant jeu de mots puisque A Trojan Feast pourrait se traduire par « un festin de Troie ».)

Les recherches menées par Joshua Cutchin sont minutieuses et empreintes d'une honnêteté sans faille. Il n'est pas question pour lui de résoudre le problème à la fin de son ouvrage. Dans A Trojan Feast, des questions pertinentes sont posées, des réflexions fécondes sont initiées devant une énigme qui ne peut que nous grandir, le courage et la bonne volonté aidant. 



samedi 17 juin 2017

La mort du petit commerce

 À une époque, je me livrais à la contrebande de crottes de nez. C'était un job lucratif mais l'Union Européenne a fini par interdire cette activité. Un jour, j'ai eu chaud: je transportais dans ma Taunus un chargement que je voulais faire passer d'Italie en France. Je l'avais récupéré d'un chalutier de l'Adriatique, à Rimini plus exactement. Parmi les petites ampoules de verre, il y en avait deux d'un prix, d'une rareté considérables: des crottes de nez d'Adolf Eichmann et de Katy Perry. J'avais l'intention de les revendre à Paris, dans le 16è. Je connaissais des amateurs éclairés, là-bas.

Seulement, ça a failli chier, dans les Alpes. C'était au tunnel du Mont-Blanc, côté français. Il y avait la gendarmerie, la douane volante. Ils faisaient stopper les véhicules. Je me suis exécuté, comme tout le monde. Moi, c'était devant une douanière, une jeunette pas vilaine, je m'en souviens. Avant qu'elle entamât son opération de contrôle, j'ai baissé ma vitre, dégrafé ma ceinture de sécurité, lâché un glave. J'ai fait exprès de rater mon coup: mon huître s'est étalée sur ma portière couleur caca. Affichant un air dépité, j'ai passé un bras, ramassé le mollard avec mes doigts et l'ai remis dans ma bouche pour le déglutir sur l'instant. Il n'était pas question de laisser cette horreur sur ma portière, n'est-ce pas. La nana, écœurée, n'a rien contrôlé du tout dans ma caisse et n'a même pas pris la peine de vérifier mes papiers d'identité. En fait, elle m'a juste intimé, d'un geste large et vaguement exaspéré du bras, l'ordre de circuler.

J'ai bien évidemment obtempéré.

La journée était grise et froide, une approche de l'hiver assez sympathique, une ambiance comme je les aime. Il n'avait pas encore neigé, je n'avais pas eu besoin d'installer mes pneus contact. J'ai suivi le mouvement des autres voitures et poids lourds et sorti de la zone du tunnel, j'ai tracé vers Paris, sans excès de vitesse.

J'ai bien géré le problème.

Ce soir-là, boulevard Suchet, j'ai fait la joie d'un collectionneur averti, ce cher vieux marquis d'Esad, président de l'éponyme et discrète association culturelle (Eat Shit And Die). Il m'invita à rester dîner. Li, son cuisinier chinois, sut parfaitement apprêter les délicates boulettes de mucus dans son riz cantonnais (avec bœuf aux oignons).

Mais ça, donc, c'était avant...