J'aime bien le look "Nosferatu" de Collomb.
vendredi 27 avril 2018
mercredi 25 avril 2018
samedi 21 avril 2018
Horrorween, d'Al Sarrantonio
Al
Sarrantonio est un auteur américain d'horreur et de science-fiction
(né en 1952) ainsi qu'un anthologiste travaillant dans ces créneaux.
Depuis le début des années 2000, il écrit The Orangefield Cycle,
saga consacrée à Halloween et dont le cadre se situe dans la ville
fictive d'Orangefield (au nord de New York). Trois romans, à ce
jour, constituent ce cycle : Halloweenland (2007),
Hallows Eve (2004) et Horrorween (2006). Horrorween,
en dépit de sa date de publication, est le point de départ
chronologique du cycle. Ce volume est une réécriture du court roman
Orangefield (2002) ainsi que des novellas « Hornets »
(2001) et The Pumpkin Boy (2005).
La
païenne et archaïque fête de Samhain (prononcer « sâwinn »),
dans le monde celte, se tient du 31 octobre au 1er novembre. C'est le
moment de l'année où le monde des morts côtoie celui des vivants,
une période dangereuse (pour ces derniers) nécessitant des rituels
propitiatoires vis-à-vis de ces ombres affleurantes. Le
christianisme, comme on le sait, en a gardé la trace. Halloween,
plus globalement, est un corpus de traditions géographiquement
présentes dans la vieille Europe et qui, avec les débuts de la
colonisation nord-américaine, s'est déporté outre-Atlantique pour
nous revenir sous sa forme essentiellement mercantile. Il ne s'agit
donc pas d'une tradition américaine, contrairement à ce qu'on peut
être tenté de croire, mais il est intéressant de noter que la côte
Est a vu profondément s'enraciner des traditions non natives.
Tellement
de textes ont été écrits, tellement de fictions proposées autour
d'Halloween sous une forme ou une autre qu'il est peut-être
difficile, au vingt-et-unième siècle, de reprendre ce thème de
manière convaincante, à moins, comme l'a choisi Sarrantonio, de ne
pas tenter l'éclairage purement anthropologique mais, tout au
contraire, de forcer la note sur l'emprise que cette célébration
exerce sur une ville tellement marquée qu'elle s'appelle
Orangefield, à cause du nombre invraisemblable de citrouilles qui y
poussent. Toute l'imagerie est présente dans le roman, et même
omniprésente, ce qui permet à Sarrantonio d'introduire une
notion-clef de l'intrigue, celle de possession/dépossession.
Possession
qu'exerce une mystérieuse et maléfique entité, surnommée Sam
(diminutif de Samhain), sur certains habitants d'Orangefield. Ici,
nous nous trouvons sans ambiguité dans le domaine du surnaturel. Les
motivations de Sam ne sont pas très claires. Bien que pratiquant la
télépathie et la télékinésie, se matérialisant et
dématérialisant à volonté, il a besoin de personnes précises
afin de parvenir à ses fins. Halloween est bien sûr sa période de
plus forte influence mais lui-même, semble-t-il, doit répondre de
ses actes devant une autre présence, encore plus énigmatique. Sam
fait parler de lui depuis plusieurs dizaines d'années déjà :
accidents étranges, meurtres, témoignages oculaires faisant état
d'une silhouette fuligineuse dans les champs de citrouilles... Vu de
près par un des personnages du roman, son visage est blanc, plat,
aux orbites noires et creuses surmontant une minuscule bouche rouge
en forme de point. Sarrantonio est manifestement influencé par la
culture cinématographique et les comics, ce qui n'est pas forcément
un problème dans la mesure où il cherche précisément à passer
par l'utilisation de représentations modernes typiques dans une
remontée vers la source archaïque du phénomène.
Si
Sam est une incarnation d'Halloween à propos de laquelle beaucoup de
choses restent à élucider, Al Sarrantonio parvient malgré cela à
rebrousser chemin en nous dépossédant de nos certitudes valables
mais relatives en ce qui concerne cette période du calendrier. Ce
que nous nommons Samhain, Halloween, est circonscrit spatialement et
historiquement même si, comme on l'a vu, un certain nombre de
siècles et de zones géographiques sont concernés. En fait, le
point de vue de Sarrantonio, ici, rejoint la position lovecraftienne
classique : l'être humain n'a aucune idée de l'univers qui
l'entoure et, surtout, il ne possède pas cet univers.
Halloween est une « marque de fabrique » celte mais le
phénomène existait déjà bien avant. De l'autre côté de l'océan,
il préexiste aux cultures amérindiennes. Ce que les personnages en
voient, en savent, n'est qu'une toute petite perspective mais
tellement prégnante dans sa noirceur cosmique que les dégâts
individuels sont radicaux et c'est cela que l'auteur nous montre, la
présence du démesuré, du dément, dans l'intime. La posture de
dépossession (ou de relativisation) va à l'encontre du décret
vétérotestamentaire selon lequel l'Homme est seigneur de ce monde
et on remarquera d'ailleurs que, dans Horrorween, les
autorités religieuses sont absentes. (On peut imaginer qu'elles ont
déjà beaucoup à faire dans la « dramaturgie » du
christianisme confronté aux relents de paganisme pour ne pas
s'occuper, en plus, d'une béance ontologique primordiale dépassant
tous les argumentaires habituels!) Cela dit, ce roman ne présente
rien de particulièrement anticlérical, parce que ce n'est pas
vraiment son objet.
Horrorween
est la reprise de trois textes antérieurs. Là se tient peut-être
sa plus grande faiblesse car malgré la présence de quelques
personnages assurant la continuité entre telle et telle intrigue,
l'ensemble demeure un peu décousu. En revanche, si on prend chaque
texte indépendamment, l'efficacité auctoriale prévaut. À l'époque
où ils les composa, Sarrantonio n'avait peut-être pas encore prévu
la rédaction d'un cycle complet. Il restera donc à s'approprier les
deux autres volets (je ne l'ai pas encore fait à l'heure actuelle)
qui, eux, semblent avoir été écrits à chaque fois d'un seul
tenant à et constituent la suite directe d'Horrorween. En
dépit de cette réserve, Sarrantonio réussit avec brio à créer un
climat non seulement psychique mais également météorologique.
D'une manière générale, nos cinq sens physiques sont sont
intelligemment sollicités avant de donner une réelle consistance à
ce qui, sinon, semblerait trop artificiel pour être crédible :
un lieu de la Nouvelle-Angleterre où, pour une raison que nous
ignorons, quelque chose d'extrêmement ancien et obscur a élu
domicile. Chaque personnage est un prisme individuel de l'horreur car
tout est en quelque sorte contaminé même lorsque le surnaturel
n'est pas directement en cause. (The Pumpkin Boy me semble
particulièrement remarquable de par son étrange beauté, en plus de
son horreur psychologique.) Tous estropiés, affectivement ou
littéralement, ils ajoutent à la teinte orange du cadre leur
résonance spécifique. Les amateurs de scènes de suspense et de
violence s'y sentiront à l'aise ; les nocturnes plus calmes ne
seront pas dépaysés.
jeudi 19 avril 2018
mardi 17 avril 2018
vendredi 13 avril 2018
Das Grauen schleicht durch Bonnards Haus, de Dan Shocker
Un
Américain, Henry Parker, travaillant pour le compte d'un service
secret très secret et très particulier, enquête dans la commune
française de Maurs. Il s'agit d'élucider des attaques perpétrées
sur des humains par ce qui semble être... des vampires. Le service
en question s'appelle la PSA (Psychoanalytischen Spezialabteilung ou
« Section Spéciale Psychanalytique »), il est chargé
d'enquêter sur des affaires présentant des caractéristiques pour
le moins inhabituelles. Parker porte le nom de code X-RAY-18.
Le
cadavre de Parker, victime d'un meurtre, est découvert par un autre
Américain, Larry Brent, parti faire du tourisme dans le sud de la
France. Brent est agent du FBI et ne sait rien de la PSA mais, par
déformation professionnelle et suite à des événements auxquels il
ne s'attendait pas (Parker porte à une main une étrange chevalière
et Brent se fait attaquer par une chauve-souris de deux mètres
d'envergure), il mène son enquête parallèlement à la police
locale. De fil en aiguille, il découvre que des chauves-souris
mutantes sont téléguidées (par ultra-sons) pour prélever sur des
victimes humaines du sang de groupe A. Qui mène ces expériences ?
Pourquoi cette macabre collecte ? Pourquoi ce groupe sanguin en
particulier ?
Ce
roman de 1968 marque, dans le monde germanophone, les débuts d'une
vague littéraire qui allait connaître de belles heures dans les
années 70 et après. Ce mouvement ne s'est d'ailleurs pas
franchement arrêté. Jusqu'alors, des éléments appartenant au
registre de l'horreur n'apparaissaient pas dans les pulps allemands.
C'est donc Dan Shocker qui ouvre le bal. Dan Shocker est un des
nombreux noms de plume utilisés par Jürgen Grasmück (1940 †2007),
écrivain spécialisé dans le fantastique et la science-fiction.
Sous le même nom, il est également le créateur de la série
Macabros (qui vit le jour en 1973), elle aussi très populaire et
dont le titre dispense de toute précision quant au genre
d'appartenance. En séries principales et à un rythme régulier,
Shocker a écrit 125 Macabros et 192 Larry Brent.
Ce
n'est pas mal mais c'est relativement peu, en définitive, par
rapport à certaines séries-phares comme John Sinclair, Perry Rhodan
ou Jerry Cotton qui en sont à plus de deux mille numéros chacune
(avec cette fois, il est vrai, de véritables batteries d'écrivains
derrière les noms de plume concernés). Si les Allemands avaient
déjà une forte tradition de littérature populaire avant le
Deuxième Conflit mondial (qu'on songe entre autres au personnage de
l'Amérindien Winnetou créé par Karl May, auteur incontournable
dans le domaine), la victoire américaine de 1945 n'a fait que
décupler la tendance, avec encore plus d'intrigues américaines ou à
l'américaine, présentées par des auteurs sous identités à
consonances anglo-saxonnes. Je pense même que du point de vue
quantitatif, ils ont dépassé les Yankees (pourtant initiateurs des
pulps).
Das
Grauen schleicht durch Bonnards Haus (« l'horreur rôde au
manoir Bonnard ») marque ainsi un nouveau développement de
cette littérature pondue au kilomètre et qui ne vise que le
délassement du lecteur. Paru en 1968, donc, on y retrouve cet
engouement pour les sigles et organisations fortement structurées
agissant dans l'ombre. X-RAY 18, X-RAY 1 (le big boss de la PSA) ne
tranchent pas sur la toile de fond constituée, à l'époque, par les
OSS 117, 007, FX-18 et autres agents du S.H.I.E.L.D. ou de
l'U.N.C.L.E. C'est kitsch si on veut mais ça fait partie du jeu !
Ramassée sur moins de deux cents pages (format immuable de la
série), l'histoire est bien rythmée, les personnages sont
suffisamment crédibles malgré le contrat d'intrigue hors-norme
établi à l'achat entre l'auteur et le lecteur. Inutile d'en faire
tout un plat mais retenons ceci : Grasmück/Shocker était un
professionnel de l'écriture romanesque et il n'est point besoin
d'aller chez des bouquinistes du fin fond de l'Allemagne pour se
procurer ce volume (et les suivants) : les aventures de Larry
Brent (tout comme celles de Macabros) sont rééditées en numérique
par Maritim Verlag. Signe qu'elles plaisent toujours.
Une
dernière chose : renseignement pris, Maurs existe réellement.
C'est dans le Cantal.
Une "troisième guerre mondiale"? Est-ce que ce ne serait pas un drôle de
vœu pieux (je veux dire: en plus des réelles menées du gangstérisme
bancaire international) formulé, dans certains recoins des espaces
atlantistes, par ceux qui n'ont pas eu la possibilité de participer
activement aux deux précédentes? Vœu qui permettrait, trente ans après
le conflit, de se programmer des banquets de commémorations bien
arrosés, sans oublier La grande vadrouille et La 7è compagnie reloaded,
avec de vrais cadavres numériquement réanimés? ("J'ai buggé, chef!")
jeudi 5 avril 2018
Skidstain Halo, de Kevin Sweeney
« Skid »,
c'est « déraper ». « Stain », c'est une tache
mais « skidstain », ensemble, c'est la trace de pneus
dans le slibard. « Halo » ne pose pas de problème, c'est
le même mot en français. Quid, en revanche, de « skidstain
halo » ? Un « halo en trace(s) de pneus » ?
En effet mais pour être plus exact, il vaut mieux rendre par
« auréole en trace(s) de pneus ». Il s'agit bien d'une
auréole témoignant de l'état de sainteté en dépit de l'usage,
comment dire, oxymorique, de « skidstain » et de
« halo ». C'est que, dans ce court roman, nous nous
trouvons au Ciel, à ceci près que le Ciel n'est plus ce qu'il
était.
Depuis
que Satan a pris sa retraite, l'Enfer n'existe plus, tout le monde va
au Ciel, même les pires salauds, même la tueuse en série Zinloos
Geweld (qu'on peut comprendre comme « violence aveugle »),
coupable d'un nombre hallucinant de meurtres au cours de son
existence terrestre. Le problème du Ciel, en plus de sa décrépitude
sans cesse croissante, c'est qu'on s'y ennuie ferme. Kevin Sweeney
reprend la célèbre aporie de Woody Allen (« L'éternité,
c'est long, surtout vers la fin. ») mais la modifie de manière
significative car dans son roman, l'éternité n'a pas de fin. Si la
phrase d'Allen exprime au premier chef notre dépendance à la
perception du temps comme avancée linéaire faite de succession,
Sweeney, en somme, ne fait pas autre chose mais il ne fait pas que
cela. Il développe aussi à outrance sa moquerie de nos
représentations religieuses. Ce qui me semble révélateur, c'est
une sorte d'insert que Sweeney ajoute à la fin de son livre, une
fois l'intrigue terminée. Là, de manière très sobre, en un
paragraphe assez bref, il montre (selon moi) qu'il n'est pas tant
nihiliste (athée) qu'agnostique (il n'est pas fermé à la notion de
transcendance). Cet ajout n'était peut-être pas indispensable car
tout lecteur doté d'un minimum d'intelligence peut s'en rendre
compte dans les pages de Skidstain Halo.
Il
serait en effet trop simple de se contenter d'une approche
superficielle de ce roman sous prétexte qu'il entre dans le registre
bizarro et qu'en conséquence, il déploie des trésors de
violence et d'obscénité surréalistes. Le Ciel est devenu un
gigantesque ensemble de parcs à thème ; Zinloos, ne trouvant
sa place nulle part, finit par choisir une arène à combats
perpétuels entre équipes de tueurs, de monstres, de super-héros et
super-vilains tous plus improbables les uns que les autres mais que
Sweeney parvient magistralement à raccorder à notre pop culture.
L'arène en question se nomme Skidstain. Dans un au-delà où les
auréoles de saints et d'anges sont faites avec des matières
recyclées (faute de mieux), les points engrangés lors d'un combat
sont déterminés par la capacité à déféquer à l'intérieur de
l'auréole portée par un adversaire qui, même mort, même
radicalement atomisé, se reconstitue en quelques instants. Ces indications sommaires permettent de comprendre que Sweeney pianote
aussi très bien sur les univers que nous-mêmes ne cessons de
vouloir substituer à une réalité soit insatisfaisante (échec des
idéologies, refus de celles-ci), soit dirigiste (extrémismes, rejet
des directeurs de conscience). Finalement, Skidstain Halo
permet à Sweeney de passer la surmultipliée dans la caricature :
c'est aussi un roman très drôle. Zinloos, dans cet univers de
geeks, le nôtre, passera de l'informe (elle ne sait pas qui
elle est, ce qu'elle est vraiment) à l'existence en pleine
conscience d'elle-même. Pour dire ça autrement, elle découvrira
son identité en surpassant des règles de vie et d'action tellement
cristallisées par l'ennui qu'elles ont atteint l'absurde. Il n'est
d'ailleurs pas inintéressant d'apprendre, à la fin du roman, où en
est le Créateur, Dieu en personne, dans ces mondes au bout du
rouleau.
Tout
ce qui est en haut est comme tout ce qui est en bas. Tout ce qui est
en bas est comme tout ce qui est en haut mais nous avons perdu le
sens des hiérarchies et des finalités. Heureusement qu'une
implacable et sympathique tueuse nous invite à la fête. Pour ma
part, c'est la première fois que je lis Kevin Sweeney et je suis
curieux de découvrir le reste de sa production.
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