Al
Sarrantonio est un auteur américain d'horreur et de science-fiction
(né en 1952) ainsi qu'un anthologiste travaillant dans ces créneaux.
Depuis le début des années 2000, il écrit The Orangefield Cycle,
saga consacrée à Halloween et dont le cadre se situe dans la ville
fictive d'Orangefield (au nord de New York). Trois romans, à ce
jour, constituent ce cycle : Halloweenland (2007),
Hallows Eve (2004) et Horrorween (2006). Horrorween,
en dépit de sa date de publication, est le point de départ
chronologique du cycle. Ce volume est une réécriture du court roman
Orangefield (2002) ainsi que des novellas « Hornets »
(2001) et The Pumpkin Boy (2005).
La
païenne et archaïque fête de Samhain (prononcer « sâwinn »),
dans le monde celte, se tient du 31 octobre au 1er novembre. C'est le
moment de l'année où le monde des morts côtoie celui des vivants,
une période dangereuse (pour ces derniers) nécessitant des rituels
propitiatoires vis-à-vis de ces ombres affleurantes. Le
christianisme, comme on le sait, en a gardé la trace. Halloween,
plus globalement, est un corpus de traditions géographiquement
présentes dans la vieille Europe et qui, avec les débuts de la
colonisation nord-américaine, s'est déporté outre-Atlantique pour
nous revenir sous sa forme essentiellement mercantile. Il ne s'agit
donc pas d'une tradition américaine, contrairement à ce qu'on peut
être tenté de croire, mais il est intéressant de noter que la côte
Est a vu profondément s'enraciner des traditions non natives.
Tellement
de textes ont été écrits, tellement de fictions proposées autour
d'Halloween sous une forme ou une autre qu'il est peut-être
difficile, au vingt-et-unième siècle, de reprendre ce thème de
manière convaincante, à moins, comme l'a choisi Sarrantonio, de ne
pas tenter l'éclairage purement anthropologique mais, tout au
contraire, de forcer la note sur l'emprise que cette célébration
exerce sur une ville tellement marquée qu'elle s'appelle
Orangefield, à cause du nombre invraisemblable de citrouilles qui y
poussent. Toute l'imagerie est présente dans le roman, et même
omniprésente, ce qui permet à Sarrantonio d'introduire une
notion-clef de l'intrigue, celle de possession/dépossession.
Possession
qu'exerce une mystérieuse et maléfique entité, surnommée Sam
(diminutif de Samhain), sur certains habitants d'Orangefield. Ici,
nous nous trouvons sans ambiguité dans le domaine du surnaturel. Les
motivations de Sam ne sont pas très claires. Bien que pratiquant la
télépathie et la télékinésie, se matérialisant et
dématérialisant à volonté, il a besoin de personnes précises
afin de parvenir à ses fins. Halloween est bien sûr sa période de
plus forte influence mais lui-même, semble-t-il, doit répondre de
ses actes devant une autre présence, encore plus énigmatique. Sam
fait parler de lui depuis plusieurs dizaines d'années déjà :
accidents étranges, meurtres, témoignages oculaires faisant état
d'une silhouette fuligineuse dans les champs de citrouilles... Vu de
près par un des personnages du roman, son visage est blanc, plat,
aux orbites noires et creuses surmontant une minuscule bouche rouge
en forme de point. Sarrantonio est manifestement influencé par la
culture cinématographique et les comics, ce qui n'est pas forcément
un problème dans la mesure où il cherche précisément à passer
par l'utilisation de représentations modernes typiques dans une
remontée vers la source archaïque du phénomène.
Si
Sam est une incarnation d'Halloween à propos de laquelle beaucoup de
choses restent à élucider, Al Sarrantonio parvient malgré cela à
rebrousser chemin en nous dépossédant de nos certitudes valables
mais relatives en ce qui concerne cette période du calendrier. Ce
que nous nommons Samhain, Halloween, est circonscrit spatialement et
historiquement même si, comme on l'a vu, un certain nombre de
siècles et de zones géographiques sont concernés. En fait, le
point de vue de Sarrantonio, ici, rejoint la position lovecraftienne
classique : l'être humain n'a aucune idée de l'univers qui
l'entoure et, surtout, il ne possède pas cet univers.
Halloween est une « marque de fabrique » celte mais le
phénomène existait déjà bien avant. De l'autre côté de l'océan,
il préexiste aux cultures amérindiennes. Ce que les personnages en
voient, en savent, n'est qu'une toute petite perspective mais
tellement prégnante dans sa noirceur cosmique que les dégâts
individuels sont radicaux et c'est cela que l'auteur nous montre, la
présence du démesuré, du dément, dans l'intime. La posture de
dépossession (ou de relativisation) va à l'encontre du décret
vétérotestamentaire selon lequel l'Homme est seigneur de ce monde
et on remarquera d'ailleurs que, dans Horrorween, les
autorités religieuses sont absentes. (On peut imaginer qu'elles ont
déjà beaucoup à faire dans la « dramaturgie » du
christianisme confronté aux relents de paganisme pour ne pas
s'occuper, en plus, d'une béance ontologique primordiale dépassant
tous les argumentaires habituels!) Cela dit, ce roman ne présente
rien de particulièrement anticlérical, parce que ce n'est pas
vraiment son objet.
Horrorween
est la reprise de trois textes antérieurs. Là se tient peut-être
sa plus grande faiblesse car malgré la présence de quelques
personnages assurant la continuité entre telle et telle intrigue,
l'ensemble demeure un peu décousu. En revanche, si on prend chaque
texte indépendamment, l'efficacité auctoriale prévaut. À l'époque
où ils les composa, Sarrantonio n'avait peut-être pas encore prévu
la rédaction d'un cycle complet. Il restera donc à s'approprier les
deux autres volets (je ne l'ai pas encore fait à l'heure actuelle)
qui, eux, semblent avoir été écrits à chaque fois d'un seul
tenant à et constituent la suite directe d'Horrorween. En
dépit de cette réserve, Sarrantonio réussit avec brio à créer un
climat non seulement psychique mais également météorologique.
D'une manière générale, nos cinq sens physiques sont sont
intelligemment sollicités avant de donner une réelle consistance à
ce qui, sinon, semblerait trop artificiel pour être crédible :
un lieu de la Nouvelle-Angleterre où, pour une raison que nous
ignorons, quelque chose d'extrêmement ancien et obscur a élu
domicile. Chaque personnage est un prisme individuel de l'horreur car
tout est en quelque sorte contaminé même lorsque le surnaturel
n'est pas directement en cause. (The Pumpkin Boy me semble
particulièrement remarquable de par son étrange beauté, en plus de
son horreur psychologique.) Tous estropiés, affectivement ou
littéralement, ils ajoutent à la teinte orange du cadre leur
résonance spécifique. Les amateurs de scènes de suspense et de
violence s'y sentiront à l'aise ; les nocturnes plus calmes ne
seront pas dépaysés.
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