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Dans ce roman paru en 1986, la commune de Moonwell (« le puits de la Lune »), située dans le nord de l'Angleterre, entre Sheffield et Manchester, voit se perpétuer ses coutumes héritées de l'époque druidique, en particulier celle consistant à décorer le pourtour d'un puits de mine abandonné, à chaque début de la saison estivale. Mais voici qu'un exalté religieux de confession chrétienne, Godwin Mann, se présente avec ses disciples afin de mettre un terme à ces pratiques païennes. Pour ce faire, il entreprend de descendre dans l'ancien puits afin de réduire à néant le mal qui, selon lui, s'y tapit. De fait, il rencontre effectivement quelque chose qui va le subjuguer et faire de lui sa marionnette. Personne ne se doute que ce qui remonte du puits n'est plus un être humain.
Dans ce roman paru en 1986, la commune de Moonwell (« le puits de la Lune »), située dans le nord de l'Angleterre, entre Sheffield et Manchester, voit se perpétuer ses coutumes héritées de l'époque druidique, en particulier celle consistant à décorer le pourtour d'un puits de mine abandonné, à chaque début de la saison estivale. Mais voici qu'un exalté religieux de confession chrétienne, Godwin Mann, se présente avec ses disciples afin de mettre un terme à ces pratiques païennes. Pour ce faire, il entreprend de descendre dans l'ancien puits afin de réduire à néant le mal qui, selon lui, s'y tapit. De fait, il rencontre effectivement quelque chose qui va le subjuguer et faire de lui sa marionnette. Personne ne se doute que ce qui remonte du puits n'est plus un être humain.
De
manière lente mais inexorable, l'emprise de la secte va se resserrer
sur Moonwell. La conversion (dont l'étymologie signifie
« retournement ») va métamorphoser la population locale
et, pour tout dire, en faire une masse très dangereuse mais ce n'est
pas tout. En juin, en plein jour, l'obscurité tombe sur Moonwell,
d'abord sous les apparences d'une tempête qui n'en finit pas de ne
pas éclater, puis sous la forme de ténèbres infranchissables :
le réseau électrique ne fonctionne plus, toutes les communications
avec l'extérieur sont coupées, plus personne ne ravitaille la
commune (dont il est désormais physiquement impossible de
s'éloigner) ; plus aucune personne extérieure ne semble se
souvenir de l'existence de Moonwell. Dans la bourgade et aux
alentours, tout revêt ensuite une lumière blafarde et glacée, des
présences mystérieuses et dangereuses rôdent, les visages des
habitants prennent des apparences de masques lunaires, Mann ne sort
plus de sa chambre d'hôtel dont la fenêtre devient la seule source
de lumière au pied de laquelle les fanatiques et les phalènes
humaines fanatisées viennent chanter des hymnes... Seules quelques
personnes, sur lesquelles le contrôle de Mann (ou plutôt de ce qui
possède Mann) ne parvient pas à s'exercer, tentent de résister à
la violence ténébreuse qui s'est emparée de Moonwell.
The
Hungry Moon (paru en français sous le titre La lune affamée,
dans une traduction proposée par Gérard Lebec) illustre le proverbe
selon lequel « qui veut faire l'ange fait la bête ». La
lumière lunaire (moon) est inexistante en tant que telle,
elle n'est que la lumière solaire réverbérée mais, par le fait de
cette réflexion, elle devient autre chose, de même que l'être
humain (man), qui ne peut regarder la lumière en face sous
peine de mourir, doit réfléchir (mind, mentus),
c'est-à-dire travailler en vue d'obtenir une connaissance qui ne
peut être qu'indirecte, secondaire. Celle-ci n'en est pas moins
légitime dans l'ordre qui est le sien. Le problème est justement
que Mann (le bien nommé pour la circonstance) rejette, au nom de sa
religiosité dévoyée, toute la part de puissance et de vérité
contenue dans la symbolique pré-chrétienne. Pour quelle raison, en
outre, Mann se lance-t-il dans cette croisade ? C'est parce que
son acteur de père, jadis, joua le rôle du Diable dans une série
b, ce qui l'embarrasse beaucoup mais le détail qui m'a immédiatement
frappé en découvrant le personnage de ce fils halluciné, c'est
qu'il est originaire de Californie. J'ai déjà eu l'occasion,
ailleurs, d'indiquer à quel point la côte ouest des Etats-Unis est,
en tant qu'extrême de l'Occident, la zone où naissent les
simulacres les plus inquiétants de nos spiritualités
traditionnelles. Le récit fictif accrédite cette réalité.
Pour
ce qui est du monstre, il y a bien sûr plus d'un angle d'approche.
Le fait d'être une forme d'intelligence non-humaine, d'antiquité
pré-humaine, a fait dire à certains que Ramsey Campbell, l'auteur,
avait pompé sur Stephen King lorsque celui-ci sortit, la même
année, son pavé It. Il semble pourtant que Campbell se soit
en fait inspiré d'Howard Phillips Lovecraft, écrivain difficilement
contournable dans son genre (contrairement à King) mais à l'égard
duquel il a su régler la dette. L'entité antagoniste de The
Hungry Moon manifeste l'aspect ténébreux du symbolisme
lunaire : ce qui est bonne réceptivité devient ici passivité
redoutable ; la création heureuse placée sous le patronage de
l'astre des nuits devient fécondité tératologique. Le vieux rite
estival autour du puits de mine est en fait un dispositif de
contention et une autre façon de voir les choses est évidemment de
se pencher sur l'aspect purement métaphorique de l'adversaire
surnaturel : ce dernier ne fait que matérialiser l'aveuglement
de Godwin Mann et de ses sectateurs. À ce titre, on remarquera que
Campbell, dans le texte, ne se réfère jamais à l'argent, métal
traditionnellement associé à notre satellite (faisant ainsi de The
Hungry Moon une sorte de lipogramme stylistique), comme si, en
définitive, il s'agissait de ne pas oublier que la « vraie »
Lune, notre Lune physique et folklorique habituelle, n'est pour rien
dans la démence qui accable Moonwell.
Ramsey
Campbell ne me donne pas entière satisfaction dans sa manière de
dénouer l'intrigue. C'est fait, à mon avis, de manière trop rapide
et pas assez creusée si l'on compare avec ce qui précède dans le
roman où, là, tout est soigneusement installé. L'ambiance
crépusculaire puis la terreur nocturne sont parfaitement exprimées
(les scènes d'égarement forestier me semblent particulièrement
efficaces) mais encore plus dérangeants sont les passages de The
Hungry Moon dans lesquels toute la violence humaine se manifeste
au stade intermédiaire de la possession ou, pour le dire autrement,
quand, en définitive, il n'est peut-être nul besoin d'une espèce
de vampire psychique pour la faire surgir. Cette violence-là, quelle
qu'en soit au fond la cause, n'est hélas que trop réelle. Campbell,
qui dit se sentir plus à l'aise dans l'écriture de nouvelles,
prouve qu'il est loin d'être négligeable en tant que romancier, en
dépit des gros camions à blockbusters qui monopolisent à
l'ordinaire le devant de la scène en matière de littérature
d'horreur et de fantastique.
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