Nick
Greene (Matthew Hunt), vidéaste, réalisateur de documentaires, quitte Londres pour
emménager à Nottingham. Il filme son départ et son installation.
Bien vite, dans la maison qu'il loue et dont il est le seul occupant,
une activité paranormale se manifeste. The House on Mansfield
Street fait partie de ce qu'on appelle, dans le cinéma
expérimental, le found footage, c'est-à-dire les « films
retrouvés ». Esthétiquement, il s'agit de coller au plus près
au réel, sans fioritures narratives. Il est bien évident que malgré
l'annonce de l'affiche (the footage is real), l'ensemble est
une fiction écrite et tournée par Richard Mansfield dont la
démarche cinématographique consiste à inventer une histoire,
prendre une caméra, filmer. Cela peut sembler idiot dans la mesure
où n'importe quel réalisateur fait en principe la même chose mais
ici, l'économie de moyens permet un retour aux bases.
Dans
l'intrigue en question, des bruits de pas à l'étage se font
entendre, des grattements se déplacent dans les cloisons, des objets
semblent avoir bougé tout seuls. Greene, bien équipé en matériel
technologique, décide de mettre la maison sous surveillance vidéo,
y compris avec un détecteur de mouvement. Bien entendu, il tente
d'abord de trouver des explications rationnelles. Néanmoins, une
didascalie nous prévient dès le début du film : Greene ne
terminera jamais son documentaire.
En
outre, immédiatement après avoir emménagé, il reçoit la visite
de sa nouvelle voisine, une certaine Emma King (Kathryn Redwood). La jeune femme qui, à
ses dires, travaille dans le même immeuble que Greene, offre à
celui-ci un « porte-bonheur » à accrocher à la porte
d'entrée : un petit sac cousu à la main, rempli d'on ne sait
quoi et orné d'un symbole. Cette visite et ce présent m'ont
immédiatement mis la puce à l'oreille nonobstant l'apparente
innocence d'Emma. Si donc, je sais aussi d'avance que Greene ne
finira pas son projet, cela signifie que l'intérêt du film se situe
ailleurs et que l'intrigue n'est qu'un point de passage dialectique.
À ce niveau tout de même, on constatera qu'il y a effectivement
quelque chose de surnaturel dans cette maison, y compris en journée.
Les tentatives d'explication rationnelle ne tiendront pas. Emma est,
du point de vue narratif, la cause du problème et nous le saurons à
la fin du film. Ses motivations, si on s'en tient uniquement à
l'intrigue, peuvent sembler opaques (sa nature même pose problème :
est-elle une sorcière ou un démon?). De là, on pourrait conclure à
la faiblesse du script mais c'est là, précisément, qu'à mon sens
il faut regarder au-delà de la surface des choses. Encore une fois,
le « surnaturel » plaqué sur le « naturel »
ne suffit pas à circonscrire une thématique à moins de s'en tenir
à un visionnage de divertissement et rien d'autre.
À
vrai dire, Greene ne me semble pas spécialement sympathique. Il se
veut tel, surtout lorsqu'il se filme mais de toute façon, il ne fait
que ça. C'est peut-être bien là une partie du problème. Greene
est un homme désireux de tout mettre en mémoire, et ce le plus vite
possible. Très pressé d'aller partout, n'accordant aucune
importance à la mémoire naturelle, paumé lorsqu'une tempête de
neige (dont, d'ailleurs, on peut se demander quelle est la cause
véritable) le bloque plusieurs jours chez lui, il malmène en
définitive les rythmes naturels qui lui permettraient de
véritablement découvrir Nottingham. Il les malmène, les viole
même ; son obsession d'archiviste informatique et sa recherche
de matériel de pointe font de lui, littéralement, un pornographe,
un voyeur auquel rien ne doit échapper (y compris par l'entremise de
son détecteur de mouvement lorsqu'il s'absente). La malédiction qui
s'abat sur lui, sous la forme d'Emma, serait alors un rappel narquois
de la réalité, pas seulement, donc, une histoire sans queue ni tête
de hantise et de meurtre. Et la réalité a ses rythmes, ses
processions bien à elle.
C'est
que Greene est « vert », c'est-à-dire, en anglais,
jeune, inexpérimenté. Sa perception du monde se limite au parcage
technologique dans lequel tout s'engouffre. Tout le reste, le plus
important, lui échappe, même lorsque c'est sous son nez : il
ne voit pas l'espèce d'avertissement sur sa vidéo de la visite des
souterrains de Nottingham ; devant la statue de Robin des Bois,
il comprime en quelque sorte des siècles d'histoire comme on
comprime un fichier. La technologie en tant que telle n'est pas en
cause : aucun de ses appareils n'est endommagé par la force
étrange qui se manifeste chez lui. Greene ne supporte pas la réalité
non filtrée ou présentée d'une manière différente de sa
méthode : la scène où Emma lui tire les cartes me semble
exemplaire. Le tirage s'avèrera exact en ce qui concerne son avenir
(et nous n'avons aucun doute là-dessus, donc, depuis le début), ce
qui permet de comprendre que les lames tirées par rapport à son
passé sont tout aussi révélatrices : on ne
sait pas pour quelle raison Greene a quitté Londres mais il y a eu
un problème sur lequel il ne s'étend pas. À l'annonce de son
avenir, il se ferme complètement et congédie Emma. L'acceptation de
la Mort (en tant que lame du tarot et qui, ainsi que le rappelle
pourtant sa voisine, n'est pas nécessairement la fin) était
peut-être pourtant sa dernière chance d'abandonner sa boulimie
cybernétique et de se poser véritablement dans sa nouvelle
existence, de laisser au nouveau contexte le temps de sédimenter.
Mais non. On peut dire qu'il a tout pour être heureux mais comme
c'est l'enfant buté d'une époque de vitesse croissante et
d'abrutissement mécaniste, tout son univers se retourne contre lui,
sous les espèces d'une force surnaturelle mais aussi sous la forme
de paysages urbains ordinaires qui, devine-t-on, le font chier malgré
ses commentaires enjoués. Je ne devrais probablement pas écrire ça
mais je trouve que ce qui lui arrive, c'est bien fait pour sa gueule.
The House on Mansfield Street : un film, sorti en juin
2018, où j'ai trouvé plus de matière à réflexion que ce à quoi
je m'attendais.