mercredi 27 juin 2018

The Groundstar Conspiracy, de Lamont Johnson



Aux Etats-Unis, l'employé du gouvernement John David Welles cherche à dérober les documents secrets d'un nouveau carburant pour fusées. Sa tentative échoue et il se retrouve gravement défiguré après une explosion sur la base Groundstar, son lieu de travail. En fuite, il échoue dans la maison d'une certaine Nicole Devon (interprétée par Christine Belford), jeune divorcée, et perd connaissance. Celle-ci appelle une ambulance, les autorité sont alertées et, très rapidement, Welles subit une opération de chirurgie esthétique puis se fait interroger de manière brutale par Tuxan, un agent de renseignement de type dur à cuire. Welles, cela dit, affirme n'avoir aucune mémoire de son forfait ; il ne souvient même pas de sa vie, en dehors de quelques images vagues d'une femme et d'enfants sur une plage.

Malgré les techniques musclées d'interrogatoire auxquelles Tuxan a recours (électrochoc, immersion), Welles maintient sa version de l'amnésie totale et manque se faire assassiner par quelqu'un de l'extérieur. Tuxan permet à Welles de s'échapper dans l'espoir qu'il les mènera aux commanditaires du vol. Welles se rend chez Nicole et la supplie de l'aider à recouvrer la mémoire. Elle ne sait cependant rien.

Tuxan finit par retrouver les conspirateurs et révèle toute la vérité à Welles qui ne parvient toujours pas à se rappeler les détails du vol. Le vrai John David Welles est en fait mort au cours de son transfert à l'hôpital, la nuit de l'explosion. L'homme dont on nous a dit jusqu'ici qu'il s'appelait Welles est en fait Peter Bellamy, un autre agent du gouvernement américain. Ayant récemment perdu sa femme lors d'un accident (ce qui correspond à ses bribes de souvenirs) et considérant que sa vie ne valait plus la peine d'être vécue ni conservée en mémoire, Bellamy s'est porté volontaire pour subir un lavage de cerveau et prendre l'identité de Welles afin de débusquer les vrais coupables.

Cette co-production canadienne et américaine, tournée en 1971 par Lamont Johnson et sortie en 1972, est une adaptation libre du roman du Britannique L.P. Davies The Alien, paru en 1968. L'œuvre de Davies, assez orientée vers la science-fiction, l'horreur et le mystère, présente souvent des personnages en proie à l'amnésie, en quête de leur identité véritable. Philip K. Dick est peut-être l'arbre qui cache la forêt L.P. Davies. Il va s'avérer indispensable de se pencher à nouveau sur son cas.

Comme on pourrait s'y attendre à propos de The Groundstar Conspiracy (titre français : Requiem pour un espion), ce film mâtiné d'un vague fond de science-fiction offre une ambiance de confusion et de paranoïa. Je trouve le résultat assez convaincant malgré le passage des années et l'écart avec le texte d'origine mais ce qui m'intéresse le plus, dans cette histoire, c'est la radicalité de Tuxan et de Welles/Bellamy. Ce dernier, malgré son statut d'homme traqué (interprété de manière convaincante par Michael Sarrazin, acteur peut-être injustement mésestimé), est dans un sens aussi déterminé que celui qui semble être son antagoniste principal. Cette détermination trouve sa source dans l'intolérable souffrance d'un deuil. Apparemment victime, Bellamy a oublié qu'il est en fait le volontaire d'une mission-suicide et que son amnésie est la clef du plan concocté avec Tuxan !

Cela explique peut-être l'élément « groundstar » du titre. Une étoile (star) abattue, jetée à terre (ground, grounded). Dans The Alien, la question est également de déterminer l'identité du protagoniste. Si on veut bien faire abstraction du dévoilement d'intrigue effectué plus haut, on s'interroge tout autant dans le film. Welles aurait presque des allures d'homme tombé du ciel, pour faire un clin d'œil au roman éponyme de Walter Tevis (The Man Who Fell to Earth). L'autre personnage radical est Tuxan, dont le nom offre une ressemblance avec « tocsin » (tocsin) et « toxine » (toxin). À lire çà et là quelques critiques du film, Tuxan serait une ordure, un fasciste, un psychopathe, period. Je dirai pour ma part qu'il est inflexible, sans états d'âme autres que la raison d'Etat. Il se dit d'ailleurs prêt à mettre sur écoute sa propre famille si cela doit renforcer la sécurité du pays. Il s'est mis lui-même sur écoute ! Si on le laissait faire, il placerait des micros dans toutes les chambres à coucher car c'est là que naissent tous les complots, toutes les révolutions. Bien entendu, il ne choque pas que certains spectateurs mais aussi d'autres personnages de l'intrigue. Au final, cependant, il serait à sa manière (comme l'amnésique quoique d'une manière différente) un homme qui a tout sacrifié, bien conscient que dans le lot des dépossessions, il y avait sa réputation et jusqu'à la capacité de se faire aimer. Après, on peut aussi se demander si tout cela ne serait pas qu'un prétexte. Tuxan serait le sadique et Welles/Bellamy le masochiste d'une relation trouble. 

Je vais aller encore plus loin : je trouve fascinant le jeu de George Peppard, qui incarne Tuxan. Il est parfait dans ce rôle malgré son monolithisme apparent. Je le trouve d'autant plus fascinant que Peppard a régulièrement été perçu comme un sale con pendant les tournages de ses divers films et séries. À l'époque de The Groundstar Conspiracy, sa réputation était déjà en berne (cantonné qu'il était aux rôles d'action depuis la fin des années soixante jusqu'au tout début des années quatre-vingt ; il lui faudra attendre 1983 pour retrouver un second souffle avec le drôlatique et incontournable The A-Team). Ont toujours été invoqués dans son cas un problème d'alcoolisme et de personnalité (même dans ses périodes les plus fastes). Peppard n'a peut-être pas entièrement eu la carrière qu'il méritait car c'était avant tout un acteur très doué mais, à regarder le film de Johnson, je me pose tout de même une question, je le reconnais, un peu vicieuse : dans quelle mesure a-t-il composé Tuxan? The Groundstar Conspiracy est selon moi un film à redécouvrir car il possède, pour toutes ces raisons (et peut-être d'autres encore), une densité qu'on ne lui a pas forcément reconnue malgré ses acteurs, son montage nerveux et son intrigue bien menée. 



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