Et si l'art était né dans la nuit de mon cul? Et comme un pet
phosphorescent, comme un big bang d'ypérite le cosmos aurait été
manifesté, avec tout son chatoiement.
vendredi 2 novembre 2018
mardi 30 octobre 2018
lundi 29 octobre 2018
commémoration
Beaucoup de gens sont mécontents de la visite restreinte de Macron à la
clairière de l'Armistice, le 10 novembre prochain. Compiégnois de
naissance, je saisis parfaitement l'effet de désappropriation ressenti
par la population locale. Mais Macron est une merde dans un bas de soie;
les flatulences de son histoire personnelle l'entraîneront bien vite
hors de ce lieu. Dès le lendemain, en fait. Le 11 novembre est et reste
la date véritable de cet anniversaire. Nous n'avons pas besoin de lui.
lundi 8 octobre 2018
Ambassador Hotel, de Marie Desjardins: Rock et Paléolithique.
Note de lecture également accessible sur Mauvaise Nouvelle.
Selon les données de la Tradition Primordiale, le meurtre d'Abel par Caïn correspond à l'ascendant pris par la civilisation de l'agriculture sur celle des chasseurs-cueilleurs, autrement dit le passage de la période dite du Paléolithique à celle dite du Néolithique. Toujours selon la même source, la civilisation d'Abel, paléolithique, se caractérisait par une utilisation de l'espace, étant d'essence nomade, tandis que celle de Caïn, néolithique, sédentaire et agricole, se fondait avant tout sur le temps.
La loi de compensation fait qu'un peuple « spatialisé » produit un art basé sur le temps, le rythme : ce sont les pâtres qui inventèrent la musique, le chant, la poésie. À l'inverse, un peuple fondant son existence sur les saisons, le temps qui passe, celui des semailles et des moissons, produit des réalisations spatiales, architecturales : des agriculteurs du néolithique naquirent les villes. (Sous ce rapport, l'opposition milieu urbain / milieu rural n'est peut-être pas aussi tranchée qu'elle le semble.)
Il est vrai que Marie Desjardins n'aborde pas ces questions dans son roman Ambassador Hotel. Dans ce consistant volume, nous découvrons l'histoire d'un groupe de rock, RIGHT (en majuscules), issu des années soixante et entretenant sa légende jusque dans les premières années du vingt-et-unième siècle. Plutôt que d'écrire l'histoire d'un groupe véritable, Desjardins a volontairement créé un groupe fictif parce que cette solution permet d'explorer sans embarras tous les ressorts, y compris les plus insoupçonnés, d'une carrière artistique inscrite dans une période précise de l'Histoire, et pas n'importe laquelle.
« Il avait l’impression d’être Elvis. C’était divin. Il se foutait complètement d’avoir mal dormi sur le matelas de camping empestant le moisi dans la camionnette, aux côtés de Derek et de Burt, l’un ronflant, l’autre lui ayant grimpé dessus pendant la nuit. » Ces trois phrases sont hautement significatives. L'histoire de RIGHT est d'abord celle de son frontman, Roman Rowan. Nous sommes dans les années soixante, en Grande-Bretagne, là où l'ancien bardisme n'a pas encore épuisé ses feux. De manière assez classique, Rowan est un jeune homme réfractaire au milieu urbain petit-bourgeois au sein duquel il a vu le jour. Influencé par les (déjà) icônes du rock de la décennie précédente, il va chercher un chemin autre que celui déjà formaté par sa famille (bienveillante au demeurant) et la société britannique.
Ainsi débute un cycle assez familier : l'absence de moyens financiers, les concerts chichement rémunérés dans des pubs à droite à gauche, les longs trajets en camionnette pourrie et les turpitudes sexuelles, la fascination pour ceux qui sont en train de réussir à percer, les inventeurs du psychisme pop à l'anglaise, à deux doigts de conquérir l'Occident. Mais ce que Roman Rowan ne sait pas, c'est que pour lui, en quelque sorte, tout est déjà en place de son parcours. Il va se retrouver dans un processus de sélection qu'on pourrait appeler le destin : de parfait inconnu, il deviendra parfait chanteur de rock et cette sorte d'émondation va s'opérer autour de lui et sur lui-même. Un autre terme pour cet affinage, peut-être plus approprié, sera utilisé plus loin.
Du point de vue du protagoniste, un certain nombre d'événements historiques interviennent en sa faveur. Trois seront retenus ici. Le premier est sa rencontre avec Clive, celui qui deviendra son bassiste de prédilection et bien plus : un frère. Le deuxième est sa rencontre avec Bronte Gardner, frontman du groupe Bronteshire qui a déjà connu le succès mais dont l'arrivée de Rowan va marquer la fin. Le troisième est l'assassinat de Robert Kennedy, peu après minuit, le 5 juin 1968.
Le duo inoxydable qu'il va former avec Clive signifie que d'autres musiciens, d'autres candidats seront rejetés. La rencontre avec Gardner a, quant à elle, ceci de très particulier qu'elle est cette fois un cas de gémellité contrariée : Gardner est une sorte de double noir de Rowan. Dire qu'il y a de suite un conflit d'egos entre eux est juste mais on peut aller plus loin. « Gardner », le « jardinier », est en quelque sorte l'agriculteur, le « caïnite » du drame, alors que « Rowan », le « sorbier des oiseleurs », est lui-même la pousse. Il s'en faut de très peu que les deux hommes, bourrés de talent au point d'être habités d'un élément surnaturel, collaborent de manière insigne et bouleversent encore davantage la scène musicale. Toutefois, Gardner se retirera. Un occultiste pourrait dire que ce dernier est un pratiquant de la « voie de la main gauche » tandis que Rowan, solaire, se tient du côté de la « voie droite » (« right », justement).
Rejeté de même, le demi-frère adultérin de Rowan auquel il est fait plus d'une fois allusion mais que nous ne verrons jamais. Le troisième événement, l'assassinat de Robert Kennedy, se produit le jour où le candidat à la primaire démocrate (en vue de la présidentielle américaine) et les membres de RIGHT se trouvent à l'Ambassador Hotel, établissement de Los Angeles qui n'existe plus aujourd'hui. De cette tragédie sortira Shooting at the Hotel, tube dès lors béni et maudit de RIGHT.
Dans cette vie consacrée à la musique, tout est sacrifice et petit à petit, Rowan s'approchera de cette vérité. Lui-même, de « sacrificateur » (femmes lui tombant dans les bras, offrandes-suicides de fans) devient « sacrifié », c'est-à-dire littéralement rendu sacré, délesté de sa condition « profane ». Il ne s'agit pas seulement du fait d'atteindre au cours des concerts des exaltations proches de la transe ; il faut payer de sa personne afin de capter cette sorte de « paléo-énergie » venue du fond des âges, des pâtres-mages. (Presley, un autre crucifié du rock, l'avait compris.) Dans un monde généralement privé d'initiation, de vie intérieure, dans une sphère d'activité où l'argent prime sur beaucoup de choses, Roman Rowan parvient, par étapes successives, à se dessaisir d'entraves égotistes et à élargir ses prestations scéniques au point d'en faire des cérémonies durant lesquelles, comme son patronyme l'indique, il parvient à chanter ce qu'en ésotérisme on appelle la langue des oiseaux, c'est-à-dire la langue du Ciel, des états de conscience supérieurs et des initiés. (En outre, « Roman Rowan » et « rock 'n'roll » possèdent des sonorités pas excessivement éloignées l'une de l'autre, suggérant peut-être ainsi la nature hypostatique du premier.) Il est remarquable par ailleurs de constater à quel point, au fil des ans, le personnage devient absolument maître de lui-même, notamment face aux représentants de la presse professionnelle. Pas de mensonge, pas d'hypocrisie dans les propos convenus qu'il donne en réponse aux questions (la plupart du temps) sans originalité : c'est que Rowan a développé un aspect « exotérique » destiné au plus grand nombre, y compris ses proches. C'est dans son for intérieur que l'aspect « ésotérique », réservé au petit nombre (mais pressenti par un journaliste en particulier), se développe.
De manière astucieuse, Marie Desjardins a choisi une narration pyramidale : nous suivons à tour de rôle les débuts de Roman Rowan, son ascension dans les années soixante et sa vie dans la période post-hippie. (Le mouvement hippie, le communautarisme psychédélique reçurent deux coups de semonce en 1969 avec les événements du concert d'Altamont et de la Manson Family. Le coup d'arrêt, toutefois, vint en 1973 à l'occasion du premier choc pétrolier.) La première phase est la remarquable peinture de la montée en puissance du rock d'Albion. Les sources d'inspiration artistique y sont parfaitement comprises et restituées par Desjardins (entre autres la filiation fascinante avec le romantisme hugolien et, d'une manière générale, le courant décadentiste de la fin du XIXè siècle, l'influence de la Golden Dawn). La seconde période biographique montre en quelque sorte la gueule de bois après le rêve Peace & Love, les difficultés de cohésion du groupe, les premières usures du temps et les déserts à franchir.
Les deux voies s'élèvent au fil de la lecture pour converger vers l'apex de la pyramide : l'ultime concert de RIGHT, donné de nos jours. Le groupe, internationalement connu, connaît son apothéose. De la fourgonnette déglinguée des commencements aux avions de ligne tout confort, Rowan sillonne la Terre en bon pâtre qu'il est. Subsistent néanmoins malgré la gloire, la reconnaissance, les souffrances, les interrogations. Quel sens donner à la mort de Robert Kennedy, tremplin non calculé de RIGHT ? Comment ne pas se sentir coupable d'avoir reçu cette chance ? Que penser de la rencontre manquée entre Rowan et la photographe Havana ? C'est pourtant là que la révélation va se faire, à l'occasion d'un incident en apparence anodin. Roman Rowan, l'obscur petit Londonien de quinze ans que le rock fascinait déjà en 1960, en a maintenant soixante-dix et il connaît désormais le véritable couronnement de sa carrière, au milieu d'une foule qui ne remarque rien. Il a toujours été question, en effet, de sacrifice (dans le texte vétérotestamentaire, l'offrande d'Abel, agréée par Dieu, est celle d'un premier-né ; il ne pouvait donc revenir qu'à Roman, premier-né de son père, et pas son demi-frère, de porter la charge sacrificielle) mais c'est à cet instant seulement qu'il le comprend. Comme le sorbier dont il porte le nom, il donne ses fruits à l'automne.
La retraite dorée sera-t-elle toutefois marquée par un désœuvrement délétère débouchant sur la mort ? Imaginons qu'une fois au sommet de la pyramide, nous poursuivions le tracé des deux lignes : un retournement se produit et donne lieu à un évasement, une ouverture. Et en effet, les toutes dernières lignes du roman semblent vérifier le dicton selon lequel le rock 'n'roll ne mourra jamais. Chassez le sacré par la porte, il revient par la fenêtre. Marie Desjardins, avec brio, nous conte dans Ambassador Hotel le pourquoi et le comment de la chose.
Selon les données de la Tradition Primordiale, le meurtre d'Abel par Caïn correspond à l'ascendant pris par la civilisation de l'agriculture sur celle des chasseurs-cueilleurs, autrement dit le passage de la période dite du Paléolithique à celle dite du Néolithique. Toujours selon la même source, la civilisation d'Abel, paléolithique, se caractérisait par une utilisation de l'espace, étant d'essence nomade, tandis que celle de Caïn, néolithique, sédentaire et agricole, se fondait avant tout sur le temps.
La loi de compensation fait qu'un peuple « spatialisé » produit un art basé sur le temps, le rythme : ce sont les pâtres qui inventèrent la musique, le chant, la poésie. À l'inverse, un peuple fondant son existence sur les saisons, le temps qui passe, celui des semailles et des moissons, produit des réalisations spatiales, architecturales : des agriculteurs du néolithique naquirent les villes. (Sous ce rapport, l'opposition milieu urbain / milieu rural n'est peut-être pas aussi tranchée qu'elle le semble.)
Il est vrai que Marie Desjardins n'aborde pas ces questions dans son roman Ambassador Hotel. Dans ce consistant volume, nous découvrons l'histoire d'un groupe de rock, RIGHT (en majuscules), issu des années soixante et entretenant sa légende jusque dans les premières années du vingt-et-unième siècle. Plutôt que d'écrire l'histoire d'un groupe véritable, Desjardins a volontairement créé un groupe fictif parce que cette solution permet d'explorer sans embarras tous les ressorts, y compris les plus insoupçonnés, d'une carrière artistique inscrite dans une période précise de l'Histoire, et pas n'importe laquelle.
« Il avait l’impression d’être Elvis. C’était divin. Il se foutait complètement d’avoir mal dormi sur le matelas de camping empestant le moisi dans la camionnette, aux côtés de Derek et de Burt, l’un ronflant, l’autre lui ayant grimpé dessus pendant la nuit. » Ces trois phrases sont hautement significatives. L'histoire de RIGHT est d'abord celle de son frontman, Roman Rowan. Nous sommes dans les années soixante, en Grande-Bretagne, là où l'ancien bardisme n'a pas encore épuisé ses feux. De manière assez classique, Rowan est un jeune homme réfractaire au milieu urbain petit-bourgeois au sein duquel il a vu le jour. Influencé par les (déjà) icônes du rock de la décennie précédente, il va chercher un chemin autre que celui déjà formaté par sa famille (bienveillante au demeurant) et la société britannique.
Ainsi débute un cycle assez familier : l'absence de moyens financiers, les concerts chichement rémunérés dans des pubs à droite à gauche, les longs trajets en camionnette pourrie et les turpitudes sexuelles, la fascination pour ceux qui sont en train de réussir à percer, les inventeurs du psychisme pop à l'anglaise, à deux doigts de conquérir l'Occident. Mais ce que Roman Rowan ne sait pas, c'est que pour lui, en quelque sorte, tout est déjà en place de son parcours. Il va se retrouver dans un processus de sélection qu'on pourrait appeler le destin : de parfait inconnu, il deviendra parfait chanteur de rock et cette sorte d'émondation va s'opérer autour de lui et sur lui-même. Un autre terme pour cet affinage, peut-être plus approprié, sera utilisé plus loin.
Du point de vue du protagoniste, un certain nombre d'événements historiques interviennent en sa faveur. Trois seront retenus ici. Le premier est sa rencontre avec Clive, celui qui deviendra son bassiste de prédilection et bien plus : un frère. Le deuxième est sa rencontre avec Bronte Gardner, frontman du groupe Bronteshire qui a déjà connu le succès mais dont l'arrivée de Rowan va marquer la fin. Le troisième est l'assassinat de Robert Kennedy, peu après minuit, le 5 juin 1968.
Le duo inoxydable qu'il va former avec Clive signifie que d'autres musiciens, d'autres candidats seront rejetés. La rencontre avec Gardner a, quant à elle, ceci de très particulier qu'elle est cette fois un cas de gémellité contrariée : Gardner est une sorte de double noir de Rowan. Dire qu'il y a de suite un conflit d'egos entre eux est juste mais on peut aller plus loin. « Gardner », le « jardinier », est en quelque sorte l'agriculteur, le « caïnite » du drame, alors que « Rowan », le « sorbier des oiseleurs », est lui-même la pousse. Il s'en faut de très peu que les deux hommes, bourrés de talent au point d'être habités d'un élément surnaturel, collaborent de manière insigne et bouleversent encore davantage la scène musicale. Toutefois, Gardner se retirera. Un occultiste pourrait dire que ce dernier est un pratiquant de la « voie de la main gauche » tandis que Rowan, solaire, se tient du côté de la « voie droite » (« right », justement).
Rejeté de même, le demi-frère adultérin de Rowan auquel il est fait plus d'une fois allusion mais que nous ne verrons jamais. Le troisième événement, l'assassinat de Robert Kennedy, se produit le jour où le candidat à la primaire démocrate (en vue de la présidentielle américaine) et les membres de RIGHT se trouvent à l'Ambassador Hotel, établissement de Los Angeles qui n'existe plus aujourd'hui. De cette tragédie sortira Shooting at the Hotel, tube dès lors béni et maudit de RIGHT.
Dans cette vie consacrée à la musique, tout est sacrifice et petit à petit, Rowan s'approchera de cette vérité. Lui-même, de « sacrificateur » (femmes lui tombant dans les bras, offrandes-suicides de fans) devient « sacrifié », c'est-à-dire littéralement rendu sacré, délesté de sa condition « profane ». Il ne s'agit pas seulement du fait d'atteindre au cours des concerts des exaltations proches de la transe ; il faut payer de sa personne afin de capter cette sorte de « paléo-énergie » venue du fond des âges, des pâtres-mages. (Presley, un autre crucifié du rock, l'avait compris.) Dans un monde généralement privé d'initiation, de vie intérieure, dans une sphère d'activité où l'argent prime sur beaucoup de choses, Roman Rowan parvient, par étapes successives, à se dessaisir d'entraves égotistes et à élargir ses prestations scéniques au point d'en faire des cérémonies durant lesquelles, comme son patronyme l'indique, il parvient à chanter ce qu'en ésotérisme on appelle la langue des oiseaux, c'est-à-dire la langue du Ciel, des états de conscience supérieurs et des initiés. (En outre, « Roman Rowan » et « rock 'n'roll » possèdent des sonorités pas excessivement éloignées l'une de l'autre, suggérant peut-être ainsi la nature hypostatique du premier.) Il est remarquable par ailleurs de constater à quel point, au fil des ans, le personnage devient absolument maître de lui-même, notamment face aux représentants de la presse professionnelle. Pas de mensonge, pas d'hypocrisie dans les propos convenus qu'il donne en réponse aux questions (la plupart du temps) sans originalité : c'est que Rowan a développé un aspect « exotérique » destiné au plus grand nombre, y compris ses proches. C'est dans son for intérieur que l'aspect « ésotérique », réservé au petit nombre (mais pressenti par un journaliste en particulier), se développe.
De manière astucieuse, Marie Desjardins a choisi une narration pyramidale : nous suivons à tour de rôle les débuts de Roman Rowan, son ascension dans les années soixante et sa vie dans la période post-hippie. (Le mouvement hippie, le communautarisme psychédélique reçurent deux coups de semonce en 1969 avec les événements du concert d'Altamont et de la Manson Family. Le coup d'arrêt, toutefois, vint en 1973 à l'occasion du premier choc pétrolier.) La première phase est la remarquable peinture de la montée en puissance du rock d'Albion. Les sources d'inspiration artistique y sont parfaitement comprises et restituées par Desjardins (entre autres la filiation fascinante avec le romantisme hugolien et, d'une manière générale, le courant décadentiste de la fin du XIXè siècle, l'influence de la Golden Dawn). La seconde période biographique montre en quelque sorte la gueule de bois après le rêve Peace & Love, les difficultés de cohésion du groupe, les premières usures du temps et les déserts à franchir.
Les deux voies s'élèvent au fil de la lecture pour converger vers l'apex de la pyramide : l'ultime concert de RIGHT, donné de nos jours. Le groupe, internationalement connu, connaît son apothéose. De la fourgonnette déglinguée des commencements aux avions de ligne tout confort, Rowan sillonne la Terre en bon pâtre qu'il est. Subsistent néanmoins malgré la gloire, la reconnaissance, les souffrances, les interrogations. Quel sens donner à la mort de Robert Kennedy, tremplin non calculé de RIGHT ? Comment ne pas se sentir coupable d'avoir reçu cette chance ? Que penser de la rencontre manquée entre Rowan et la photographe Havana ? C'est pourtant là que la révélation va se faire, à l'occasion d'un incident en apparence anodin. Roman Rowan, l'obscur petit Londonien de quinze ans que le rock fascinait déjà en 1960, en a maintenant soixante-dix et il connaît désormais le véritable couronnement de sa carrière, au milieu d'une foule qui ne remarque rien. Il a toujours été question, en effet, de sacrifice (dans le texte vétérotestamentaire, l'offrande d'Abel, agréée par Dieu, est celle d'un premier-né ; il ne pouvait donc revenir qu'à Roman, premier-né de son père, et pas son demi-frère, de porter la charge sacrificielle) mais c'est à cet instant seulement qu'il le comprend. Comme le sorbier dont il porte le nom, il donne ses fruits à l'automne.
La retraite dorée sera-t-elle toutefois marquée par un désœuvrement délétère débouchant sur la mort ? Imaginons qu'une fois au sommet de la pyramide, nous poursuivions le tracé des deux lignes : un retournement se produit et donne lieu à un évasement, une ouverture. Et en effet, les toutes dernières lignes du roman semblent vérifier le dicton selon lequel le rock 'n'roll ne mourra jamais. Chassez le sacré par la porte, il revient par la fenêtre. Marie Desjardins, avec brio, nous conte dans Ambassador Hotel le pourquoi et le comment de la chose.
samedi 29 septembre 2018
mardi 25 septembre 2018
vendredi 21 septembre 2018
mercredi 12 septembre 2018
lundi 10 septembre 2018
samedi 8 septembre 2018
jeudi 6 septembre 2018
vendredi 31 août 2018
mardi 28 août 2018
samedi 25 août 2018
mardi 14 août 2018
mardi 31 juillet 2018
samedi 28 juillet 2018
mercredi 25 juillet 2018
mardi 24 juillet 2018
samedi 21 juillet 2018
vendredi 20 juillet 2018
jeudi 19 juillet 2018
samedi 14 juillet 2018
Un jour, au lycée agricole d'Erstein (où je pratiquais le
contre-enseignement), j'ai chié un étron insubmersible. Rien à faire.
Malgré plusieurs tirs de chasse, une flottaison à la limite du
paranormal. Au bout du compte, j'ai renoncé mais je me suis très bien
fait à l'idée qu'un ou une collègue, voire un membre de l'équipe de
direction, aurait droit à un film d'horreur gratuit.
mercredi 11 juillet 2018
vendredi 6 juillet 2018
dimanche 1 juillet 2018
Asylum of Satan, de William Girdler
Je
recommande chaudement le visionnage de ce nanar (produit à
Louisville, Kentucky, en 1971, sorti en 1972 aux USA et en 1975 en
France sous le titre : L'antre de l'horreur) pour ses
acteurs qui jouent comme des pieds (disons plutôt au mieux) un
script et des dialogues écrits avec les pieds. Lucina (Carla
Borelli), concertiste (piano), se rend dans une clinique de repos
suite à une dépression nerveuse. Sauf qu'elle a été prise en
charge contre son gré par l'étrange docteur Spector (Charles
Kissinger), directeur du lieu (qu'on n'appelle jamais « clinique »
mais « asile »). Là, en quelque sorte séquestrée, elle
ne sait pas encore qu'elle va servir de sacrifice humain à Satan :
celui-ci recherche des vierges et en échange du matériel fourni,
Spector renouvelle son immortalité. Le fiancé de Lucinda, un bœuf
pop du nom de Chris (Nick Jolly, qui chante aussi le thème du
générique), tente de la secourir.
Plusieurs
choses me viennent à l'esprit, comme ça : l'ensemble est mou
du fion bien qu'à certains moments, on trouve des effets visuels pas
inintéressants. Entre le moment où Chris part à la recherche de
Lucinda et le moment où celle-ci est délivrée des griffes du
Malin, on fabrique plusieurs macchabées par piqûres d'insectes
(d'après ce que j'ai vu), morsures de serpents, combustion, tête
tranchée. Lucinda, qui, de sa chambre, entend des bruits venant de
l'étage supérieur, se rend à la porte de la 319 (elle
occupe la 219) et se fait (un peu) courser par, je ne sais pas, un
zombie, un loup-garou. Il n'y a pas d'explication. Pas d'explication
non plus de ces autres patients, silencieux, vêtus de robes blanches
à capuchons, fixant, immobiles, l'œuf dur unique qu'on leur a servi
à la cafétéria de l'établissement. Mais pourquoi pas. La
silhouette de Spector, de profil au premier plan, lorsque Lucinda
arrive à l'asile, confère une aura de menace, aura renforcée par
les infirmières muettes, semblables à des drones. William Girdler
installe une notion de dédoublement entre l'asile opérationnel et
l'asile abandonné, ainsi que dans le cross-dressing de Spector. Le
problème est que même si les éléments d'une intrigue offrent plus
d'intérêt lorsqu'ils possèdent une certaine ambiguité, rien n'est
creusé là où il le faudrait, ce ne sont, semble-t-il, que des
amorces.
Ne me demandez pas qui c'est: je n'en sais rien. |
La
fin est hilarante mais je ne sais pas si ça a été fait exprès :
pendant la scène du sacrifice, Satan refuse de « consommer »
Lucinda car, contrairement à ce qu'affirme Spector (qui l'a pourtant
examinée), elle n'est pas vierge ! Il y a eu tromperie sur la
marchandise, scrogneugneu ! Non mais tu imagines ? Tu
commandes une vierge, tu précises bien : une vierge, et
on te refile une déflorée ! Après, c'est sûr, ça chauffe un
peu pour Spector. La fin de la fin, en revanche, je ne suis pas sûr
d'avoir compris : peut-être que Satan décide-t-il de se
trouver un nouveau chasseur de têtes en la personne de Chris. Ce
retournement ne me semble pas indispensable car la bouffonnerie de la
scène sacrificielle est bien suffisante (je vois dans le générique de fin que la Church of Satan a dispensé des conseils techniques).
Les
dialogues sont nases, surjoués. Le vide est comblé de temps à
autre par une bande-son en elle-même pas trop dégueulasse. Carla
Borelli est jolie. Asylum of Satan,
au bout du compte, pourrait presque être joué dans
n'importe quelle cour de récréation (et ce que je dis là n'est pas
forcément négatif).
samedi 30 juin 2018
The House on Mansfield Street, de Richard Mansfield
Nick
Greene (Matthew Hunt), vidéaste, réalisateur de documentaires, quitte Londres pour
emménager à Nottingham. Il filme son départ et son installation.
Bien vite, dans la maison qu'il loue et dont il est le seul occupant,
une activité paranormale se manifeste. The House on Mansfield
Street fait partie de ce qu'on appelle, dans le cinéma
expérimental, le found footage, c'est-à-dire les « films
retrouvés ». Esthétiquement, il s'agit de coller au plus près
au réel, sans fioritures narratives. Il est bien évident que malgré
l'annonce de l'affiche (the footage is real), l'ensemble est
une fiction écrite et tournée par Richard Mansfield dont la
démarche cinématographique consiste à inventer une histoire,
prendre une caméra, filmer. Cela peut sembler idiot dans la mesure
où n'importe quel réalisateur fait en principe la même chose mais
ici, l'économie de moyens permet un retour aux bases.
Dans
l'intrigue en question, des bruits de pas à l'étage se font
entendre, des grattements se déplacent dans les cloisons, des objets
semblent avoir bougé tout seuls. Greene, bien équipé en matériel
technologique, décide de mettre la maison sous surveillance vidéo,
y compris avec un détecteur de mouvement. Bien entendu, il tente
d'abord de trouver des explications rationnelles. Néanmoins, une
didascalie nous prévient dès le début du film : Greene ne
terminera jamais son documentaire.
En
outre, immédiatement après avoir emménagé, il reçoit la visite
de sa nouvelle voisine, une certaine Emma King (Kathryn Redwood). La jeune femme qui, à
ses dires, travaille dans le même immeuble que Greene, offre à
celui-ci un « porte-bonheur » à accrocher à la porte
d'entrée : un petit sac cousu à la main, rempli d'on ne sait
quoi et orné d'un symbole. Cette visite et ce présent m'ont
immédiatement mis la puce à l'oreille nonobstant l'apparente
innocence d'Emma. Si donc, je sais aussi d'avance que Greene ne
finira pas son projet, cela signifie que l'intérêt du film se situe
ailleurs et que l'intrigue n'est qu'un point de passage dialectique.
À ce niveau tout de même, on constatera qu'il y a effectivement
quelque chose de surnaturel dans cette maison, y compris en journée.
Les tentatives d'explication rationnelle ne tiendront pas. Emma est,
du point de vue narratif, la cause du problème et nous le saurons à
la fin du film. Ses motivations, si on s'en tient uniquement à
l'intrigue, peuvent sembler opaques (sa nature même pose problème :
est-elle une sorcière ou un démon?). De là, on pourrait conclure à
la faiblesse du script mais c'est là, précisément, qu'à mon sens
il faut regarder au-delà de la surface des choses. Encore une fois,
le « surnaturel » plaqué sur le « naturel »
ne suffit pas à circonscrire une thématique à moins de s'en tenir
à un visionnage de divertissement et rien d'autre.
À
vrai dire, Greene ne me semble pas spécialement sympathique. Il se
veut tel, surtout lorsqu'il se filme mais de toute façon, il ne fait
que ça. C'est peut-être bien là une partie du problème. Greene
est un homme désireux de tout mettre en mémoire, et ce le plus vite
possible. Très pressé d'aller partout, n'accordant aucune
importance à la mémoire naturelle, paumé lorsqu'une tempête de
neige (dont, d'ailleurs, on peut se demander quelle est la cause
véritable) le bloque plusieurs jours chez lui, il malmène en
définitive les rythmes naturels qui lui permettraient de
véritablement découvrir Nottingham. Il les malmène, les viole
même ; son obsession d'archiviste informatique et sa recherche
de matériel de pointe font de lui, littéralement, un pornographe,
un voyeur auquel rien ne doit échapper (y compris par l'entremise de
son détecteur de mouvement lorsqu'il s'absente). La malédiction qui
s'abat sur lui, sous la forme d'Emma, serait alors un rappel narquois
de la réalité, pas seulement, donc, une histoire sans queue ni tête
de hantise et de meurtre. Et la réalité a ses rythmes, ses
processions bien à elle.
C'est
que Greene est « vert », c'est-à-dire, en anglais,
jeune, inexpérimenté. Sa perception du monde se limite au parcage
technologique dans lequel tout s'engouffre. Tout le reste, le plus
important, lui échappe, même lorsque c'est sous son nez : il
ne voit pas l'espèce d'avertissement sur sa vidéo de la visite des
souterrains de Nottingham ; devant la statue de Robin des Bois,
il comprime en quelque sorte des siècles d'histoire comme on
comprime un fichier. La technologie en tant que telle n'est pas en
cause : aucun de ses appareils n'est endommagé par la force
étrange qui se manifeste chez lui. Greene ne supporte pas la réalité
non filtrée ou présentée d'une manière différente de sa
méthode : la scène où Emma lui tire les cartes me semble
exemplaire. Le tirage s'avèrera exact en ce qui concerne son avenir
(et nous n'avons aucun doute là-dessus, donc, depuis le début), ce
qui permet de comprendre que les lames tirées par rapport à son
passé sont tout aussi révélatrices : on ne
sait pas pour quelle raison Greene a quitté Londres mais il y a eu
un problème sur lequel il ne s'étend pas. À l'annonce de son
avenir, il se ferme complètement et congédie Emma. L'acceptation de
la Mort (en tant que lame du tarot et qui, ainsi que le rappelle
pourtant sa voisine, n'est pas nécessairement la fin) était
peut-être pourtant sa dernière chance d'abandonner sa boulimie
cybernétique et de se poser véritablement dans sa nouvelle
existence, de laisser au nouveau contexte le temps de sédimenter.
Mais non. On peut dire qu'il a tout pour être heureux mais comme
c'est l'enfant buté d'une époque de vitesse croissante et
d'abrutissement mécaniste, tout son univers se retourne contre lui,
sous les espèces d'une force surnaturelle mais aussi sous la forme
de paysages urbains ordinaires qui, devine-t-on, le font chier malgré
ses commentaires enjoués. Je ne devrais probablement pas écrire ça
mais je trouve que ce qui lui arrive, c'est bien fait pour sa gueule.
The House on Mansfield Street : un film, sorti en juin
2018, où j'ai trouvé plus de matière à réflexion que ce à quoi
je m'attendais.
mercredi 27 juin 2018
The Groundstar Conspiracy, de Lamont Johnson
Aux
Etats-Unis, l'employé du gouvernement John David Welles cherche à
dérober les documents secrets d'un nouveau carburant pour fusées.
Sa tentative échoue et il se retrouve gravement défiguré après
une explosion sur la base Groundstar, son lieu de travail. En fuite,
il échoue dans la maison d'une certaine Nicole Devon (interprétée
par Christine Belford), jeune divorcée, et perd connaissance.
Celle-ci appelle une ambulance, les autorité sont alertées et, très
rapidement, Welles subit une opération de chirurgie esthétique puis
se fait interroger de manière brutale par Tuxan, un agent de
renseignement de type dur à cuire. Welles, cela dit, affirme n'avoir
aucune mémoire de son forfait ; il ne souvient même pas de sa
vie, en dehors de quelques images vagues d'une femme et d'enfants sur
une plage.
Malgré
les techniques musclées d'interrogatoire auxquelles Tuxan a recours
(électrochoc, immersion), Welles maintient sa version de l'amnésie
totale et manque se faire assassiner par quelqu'un de l'extérieur.
Tuxan permet à Welles de s'échapper dans l'espoir qu'il les mènera
aux commanditaires du vol. Welles se rend chez Nicole et la supplie
de l'aider à recouvrer la mémoire. Elle ne sait cependant rien.
Tuxan
finit par retrouver les conspirateurs et révèle toute la vérité à
Welles qui ne parvient toujours pas à se rappeler les détails du
vol. Le vrai John David Welles est en fait mort au cours de son
transfert à l'hôpital, la nuit de l'explosion. L'homme dont on nous
a dit jusqu'ici qu'il s'appelait Welles est en fait Peter Bellamy, un
autre agent du gouvernement américain. Ayant récemment perdu sa
femme lors d'un accident (ce qui correspond à ses bribes de
souvenirs) et considérant que sa vie ne valait plus la peine d'être
vécue ni conservée en mémoire, Bellamy s'est porté volontaire
pour subir un lavage de cerveau et prendre l'identité de Welles afin
de débusquer les vrais coupables.
Cette
co-production canadienne et américaine, tournée en 1971 par Lamont
Johnson et sortie en 1972, est une adaptation libre du roman du
Britannique L.P. Davies The Alien, paru en 1968. L'œuvre de
Davies, assez orientée vers la science-fiction, l'horreur et le
mystère, présente souvent des personnages en proie à l'amnésie,
en quête de leur identité véritable. Philip K. Dick est peut-être
l'arbre qui cache la forêt L.P. Davies. Il va s'avérer
indispensable de se pencher à nouveau sur son cas.
Comme
on pourrait s'y attendre à propos de The Groundstar Conspiracy
(titre français : Requiem pour un espion), ce film mâtiné
d'un vague fond de science-fiction offre une ambiance de confusion et
de paranoïa. Je trouve le résultat assez convaincant malgré le
passage des années et l'écart avec le texte d'origine mais ce qui
m'intéresse le plus, dans cette histoire, c'est la radicalité de
Tuxan et de Welles/Bellamy. Ce dernier, malgré son statut d'homme
traqué (interprété de manière convaincante par Michael Sarrazin,
acteur peut-être injustement mésestimé), est dans un sens aussi
déterminé que celui qui semble être son antagoniste principal.
Cette détermination trouve sa source dans l'intolérable souffrance
d'un deuil. Apparemment victime, Bellamy a oublié qu'il est en fait
le volontaire d'une mission-suicide et que son amnésie est la clef
du plan concocté avec Tuxan !
Cela
explique peut-être l'élément « groundstar » du titre.
Une étoile (star) abattue, jetée à terre (ground,
grounded). Dans The Alien, la question est également
de déterminer l'identité du protagoniste. Si on veut bien faire
abstraction du dévoilement d'intrigue effectué plus haut, on
s'interroge tout autant dans le film. Welles aurait presque des
allures d'homme tombé du ciel, pour faire un clin d'œil au roman
éponyme de Walter Tevis (The Man Who Fell to Earth). L'autre
personnage radical est Tuxan, dont le nom offre une ressemblance avec
« tocsin » (tocsin) et « toxine »
(toxin). À lire çà et là quelques critiques du film, Tuxan
serait une ordure, un fasciste, un psychopathe, period. Je
dirai pour ma part qu'il est inflexible, sans états d'âme autres
que la raison d'Etat. Il se dit d'ailleurs prêt à mettre sur écoute
sa propre famille si cela doit renforcer la sécurité du pays. Il
s'est mis lui-même sur écoute ! Si on le laissait faire, il
placerait des micros dans toutes les chambres à coucher car c'est là
que naissent tous les complots, toutes les révolutions. Bien
entendu, il ne choque pas que certains spectateurs mais aussi
d'autres personnages de l'intrigue. Au final, cependant, il serait à
sa manière (comme l'amnésique quoique d'une manière différente)
un homme qui a tout sacrifié, bien conscient que dans le lot des
dépossessions, il y avait sa réputation et jusqu'à la capacité de
se faire aimer. Après, on peut aussi se demander si tout cela ne
serait pas qu'un prétexte. Tuxan serait le sadique et Welles/Bellamy
le masochiste d'une relation trouble.
Je vais aller encore plus
loin : je trouve fascinant le jeu de George Peppard, qui incarne Tuxan. Il est parfait dans ce rôle malgré son monolithisme apparent. Je le trouve d'autant plus fascinant que Peppard a régulièrement été perçu comme un sale con pendant les tournages de ses divers films et séries. À l'époque de The
Groundstar Conspiracy, sa réputation était déjà en berne
(cantonné qu'il était aux rôles d'action depuis la fin des années soixante jusqu'au tout début des années
quatre-vingt ; il lui faudra attendre 1983 pour retrouver un
second souffle avec le drôlatique et incontournable The A-Team). Ont toujours
été invoqués dans son cas un problème d'alcoolisme et de
personnalité (même dans ses périodes les plus fastes). Peppard n'a
peut-être pas entièrement eu la carrière qu'il méritait car
c'était avant tout un acteur très doué mais, à regarder le film
de Johnson, je me pose tout de même une question, je le reconnais,
un peu vicieuse : dans quelle mesure a-t-il composé
Tuxan? The Groundstar Conspiracy est selon moi un film à
redécouvrir car il possède, pour toutes ces raisons (et peut-être
d'autres encore), une densité qu'on ne lui a pas forcément reconnue
malgré ses acteurs, son montage nerveux et son intrigue bien menée.
mardi 26 juin 2018
The Brain Eaters, de Bruno VeSota
Lorsque
ce film de Bruno VeSota sortit en 1958, il fallut en réduire la
durée à la demande de Robert A. Heinlein qui, en 1951, avait écrit
The Puppet Masters, roman dont l'intrigue ressemblait
étrangement à celle de The Brain Eaters première mouture.
Dégrossi, le film y fait un peu moins penser. Les producteurs (Ed
Nelson, lui-même acteur principal, et Roger Corman, non crédité au
générique) n'eurent pas d'autre choix que de s'exécuter sous la
menace d'un procès pour plagiat intenté par Heinlein. Le problème
fut réglé à l'extérieur des tribunaux : l'auteur du fameux
Stranger in a Strange Land reçut cinq mille dollars
(américains) en guise de dédommagement.
The
Brain Eaters se laisse regarder en une soixantaine de minutes. Je
ne sais pas ce que cela aurait donné dans la version initialement
prévue mais en l'occurrence, cela me semble suffisant. Dans une
petite ville de l'Illinois, Riverdale (ça n'existe pas que dans les
Archie Comics!), une vague de meurtres se combine à la découverte
en forêt d'une structure métallique d'origine semble-t-il non
humaine. Elle est indestructible, on ne sait pas à quoi elle sert,
son intérieur est constitué d'un enchevêtrement de conduits. Les
meurtres sont effectivement liés au problème. Des parasites
d'origine inconnue (du moins au début) s'emparent des humains en
pénétrant à l'arrière de la nuque, modifiant ainsi leur
comportement. En fait de mangeurs de cerveaux, cela dit, il faut se
résigner à un énième titre ronflant : à peine ai-je vu une
espèce de bout de mou parasitaire se faire proprement (non, vraiment
proprement) disséquer dans un laboratoire. La section tranchée se
met alors à ramper d'elle-même ; elle anticipe vaguement les
espèces de petits étrons prenant le contrôle de l'humanité dans
un film de Cronenberg, Frissons (Shivers ou encore The
Parasite Murders, They Came from Within pour la version
originale).
Ici, c'est plutôt les mangeurs d'avant-bras gauches. |
Alors
que l'emprise des parasites s'étend et que la ville se
retrouve coupée du monde, quelques individus, comme on dit, tentent
d'organiser la résistance. Je précise de suite que les acteurs, la
plupart du temps, jouent comme des pieds et que le choix de certains
plans est pour moi une énigme. Je me permets d'ajouter que le
scénario lui-même (Est-ce dû au redécoupage du film ?)
comporte, selon moi, des incohérences difficilement négligeables.
Il s'avère que les parasites en question ne sont pas d'origine
extra-terrestre mais terrestre, ils remontent du sol, plus exactement
de la couche géologique marquant le Carbonifère. Dotés d'une
grande intelligence (je veux dire : pour de petites moumoutes
surmontées d'antennes bricolées à base de cure-pipes), ces êtres
justifient leur prise de pouvoir par le désir de donner à
l'humanité une civilisation de zombies d'où toute violence serait
désormais exclue. Le problème, c'est qu'un peu plus tôt dans
l'intrigue, un médecin nous apprend, suite à l'examen d'un cadavre
de « possédé », que même s'il ne s'était pas fait
tirer dessus, il serait mort en quarante-huit heures maximum à cause
de l'acide sécrété par son parasite ! Et puis il y a ce
savant rescapé d'une expédition disparue cinq ans plus tôt, qui
fait sa réapparition à proximité de la structure en tire-bouchon.
Il s'est évadé ? On l'a laissé partir ? Je l'ignore mais
dans la structure en question, un autre membre de l'expédition,
contrôlé lui aussi mais apparemment en bonne santé, informe nos
héros résistants du fin mot de l'histoire puis disparaît dans un
nuage de fumée. Pour faire bref, les Moumoutes de l'Apocalypse
seront détruites grâce à l'électricité.
Ils sont pas méchants, ils veulent jouer! |
Tourné
avec un budget riquiqui, joué sans trop de conviction, dépourvu le
plus souvent de tension véritable (sauf, si l'on peut dire, lors de
l'électrique conclusion), The Brain Eaters tentera de se
rattraper en jouant la carte de la suggestion et non celle de la
monstration (cette dernière étant de toute manière plus récente,
suite aux progrès de l'imagerie et de la feignantise
narratologique). Malgré tous ces défauts (ou à cause d'eux), c'est
un nanar regardable. Un dernier point : l'acteur incarnant
l'autre membre de l'expédition n'est autre que Leonard Nimoy
(orthographié « Nemoy » dans le film). On ne le voit
donc que sur la fin. Difficile à reconnaître, c'est sa voix qui
permet de l'identifier. Live long and prosper !
Surtout, prendre un air dégagé. |
Want some, bro? |
C'est bien la dernière fois que je fais la corvée de gogues! |
mardi 19 juin 2018
vendredi 15 juin 2018
vendredi 8 juin 2018
Agents Of Dreamland, de Caitlin R. Kiernan
Note également parue dans Le Salon Littéraire.
En 2015, la sonde spatiale New Horizons s'approche de Pluton mais est inopinément détectée par une intelligence extra-terrestre. Au même moment, sur Terre, un service secret très discret, voire occulte, enquête sur un phénomène pour le moins curieux ayant décimé des cultistes apocalyptiques nommés The Children of the Next Level, cela aux abords de la mer de Salton, un lac salé de Californie du Sud. Les deux principaux enquêteurs sont le Signalman, un homme usé entre deux âges, et une femme peut-être immortelle, Immacolata Sexton. Leurs efforts échoueront à empêcher l'invasion et la destruction de l'humanité.
En 2015, la sonde spatiale New Horizons s'approche de Pluton mais est inopinément détectée par une intelligence extra-terrestre. Au même moment, sur Terre, un service secret très discret, voire occulte, enquête sur un phénomène pour le moins curieux ayant décimé des cultistes apocalyptiques nommés The Children of the Next Level, cela aux abords de la mer de Salton, un lac salé de Californie du Sud. Les deux principaux enquêteurs sont le Signalman, un homme usé entre deux âges, et une femme peut-être immortelle, Immacolata Sexton. Leurs efforts échoueront à empêcher l'invasion et la destruction de l'humanité.
Vous
pensez peut-être que la mèche a été vite vendue mais, en fait,
non, ou disons que ce n'est pas bien grave d'avoir lu cette espèce
de résumé désincarné. Il demeure en effet toute la « carne »
enrobant la trame de Agents Of Dreamland. Ici, c'est presque
aussi important que l'aspect purement factuel des péripéties car
cette longue nouvelle (ou bref roman ; le terme anglais
correspondant est novella) se lira de préférence en
acceptant de se laisser emmener par quelque chose sur lequel nous
n'avons aucune prise. Cela se joue entre autres autour de la
chronologie volontairement non-linéaire de l'intrigue, ensuite (en
fait simultanément) par les points de vue de trois personnages
spécifiques, enfin (avant toute chose) par la généalogie propre du
récit, son rapport à l'Histoire et à certaines histoires.
Agents
Of Dreamland (paru en 2017) est en quelque sorte une reprise de
The Whisperer In Darkness (Celui qui chuchotait dans les
ténèbres), récit de Lovecraft (paru en 1931) dont l'action se
déroule en 1927. Sans donner trop d'indications, on peut dire de ce
premier texte qu'il met en jeu une intelligence extra-terrestre pas
très bisounours, à savoir les Mi-Go, également connus comme
fongoïdes de Yuggoth. L'œuvre de Lovecraft n'a rien d'optimiste car
elle présente notre humanité comme une intelligence absolument
incapable de prendre toute la mesure de l'univers, encore moins des
univers. Son isolement est radical, de même qu'est irrémédiable
son incapacité à communiquer avec d'autres intelligences.
Réfutation du postulat biblique selon lequel l'Homme est le centre
de la Création, tout ce qu'a écrit cet auteur tient en une phrase
scandaleuse : pour nous, les carottes sont cuites dès le
départ.
Dans
le texte de Kiernan, une partie de l'intrigue se situe également en
1927 mais aussi en 2015 et en 2043. Pour ce qui est de 2015, il
s'agit plus précisément de la fin juin et du début juillet. Cette
période correspond à l'approche de Pluton effectuée par New
Horizons. On rappellera que cette sonde existe réellement et que le
4 juillet, date symbolique s'il en est, elle s'est mise
automatiquement en mode « sauvegarde » suite à une
surcharge de l'ordinateur dans son traitement de données. Kiernan
propose une explication différente de celle avancée par la NASA :
la sonde décroche suite à sa traversée d'un nuage
approximativement de la taille de la Méditerranée. Ce nuage, non
naturel, est un dispositif de détection conçu par les fongoïdes de
Yuggoth. Vous remarquerez que présenté ainsi, cela semble un peu
bêta. Il faut pourtant entrer dans le texte et accepter de se
laisser porter, d'autant plus que la chronologie spécifique de
juin-juillet 2015 n'est pas non plus linéaire.
Les
trois personnages dont les perspectives s'entremêlent sont donc
Immacolata Sexton, le Signalman et une jeune fille, Chloe
Stringfellow. Cette dernière est à la rue et dépendante à
l'héroïne. Elle est récupérée par le gourou apocalyptique Drew
Standish qui l'emmène rejoindre le reste de sa petite communauté,
constituée d'autres épaves, près de la mer de Salton et de Bombay
Beach, au sud de la Californie. Standish promet aux membres de son
groupe la transcendance, rien de moins. Ils ne trouveront que la
béance de l'Enfer mais Chloe est la plus réceptive, la plus douée
pour la captation d'influences, de messages venus de Yuggoth et
relayés, entre autres, par l'image et le bruit de fond d'un
téléviseur qui ne fonctionne plus de la manière habituelle. Le
Signalman, lui, est un agent usé jusqu'à la corde car très
conscient de la présence d'arrière-mondes ténébreux sous-tendant
la marche de l'Histoire. La froide Immacolata Sexton ? On ne
sait pas très bien. Il est possible que ce soit une immortelle ou un
être ni vivant ni mort (undead). Toujours est-il que sa
configuration mentale lui permet de se déplacer et d'agir à des
époques différentes : 1927, 2015 et 2043. À cette dernière
date, l'humanité, presque réduite à néant, est sous le joug des
envahisseurs extra-terrestres qui sont le vrai visage de la fameuse
« transcendance » promise par Standish. Sexton aide à se
nourrir, autant qu'elle peut, une communauté de survivants en très
mauvais état.
Les
déplacements temporels de Sexton (qui sont plus des modifications de
conscience que des voyages au sens technologique) accentuent le
fatalisme qui imprègne tout le texte. D'un bout à l'autre de
l'intrigue, une atmosphère de menace sourde, omniprésente et
terminale plombe les paroles, les gestes, les décors, jusqu'à
l'ignorance du commun, ignorance qui, ici, n'a rien d'une
bénédiction. Hormis Lovecraft, Agents Of Dreamland fait
également songer aux X-Files de Chris Carter et au B.P.R.D. de Mike
« Hellboy » Mignola. Sexton pourrait être aussi un ange
(son patronyme se traduit en français par « sacristain »,
« bedeau » ; quant au prénom, tout commentaire est
inutile) car son champ visuel et transhistorique semble causer en
elle des actes de compassion très discrète mais tout à fait
prégnante. Chloe Stringfellow, seule (et temporaire) survivante du
groupe d'illuminés, est condamnée d'avance. Le Signalman et
quelques médecins triés sur le volet ne peuvent que constater les
ravages des champignons venus d'ailleurs (dans le lexique
lovecraftien, Yuggoth désigne de fait Pluton). Kiernan, néanmoins,
parvient à coucher de très belles lignes avec cette horreur
corporelle (humaine mais aussi entomologique) que ne désavouerait
pas David Cronenberg.
Le
croisement des points de vue et des époques crée un effet
stylistique faisant de ce livre une sorte de poème en prose, un
voyage halluciné au sein d'une myriade de détails concrets, voire
triviaux. Cela aussi marque la réussite de Kiernan : faire du
Lovecraft sans pasticher les circonvolutions un peu hautaines de
celui-ci. Le travail de reprise ne s'effectue pas tant au niveau du
langage que dans l'adaptation au 21è siècle et dont le résultat
est un mélange de faits réels et d'interprétations laissant la
porte ouverte à des rouages savamment camouflés, particulièrement
dangereux. Ici, il faut tout de même souligner que Kiernan se réfère
à des éléments qu'elle n'a pas inventés (cela n'enlève rien à
la qualité de son travail mais on pourra lire aussi avec profit les
essais de Peter Levenda, Gary Lachman, Mitch Horowitz...) : il
faut à nouveau constater que la zone où se manifeste le paroxysme
de l'horreur est la Californie, terre maudite, terre des morts
(couchant), pointe extrême (et extrêmement délétère) de
l'Occident, pays de failles d'où remonte ce qui voudrait passer pour
des manifestations divines. La mer de Salton, Bombay Beach, prises
dans des concrétions boueuses et salines, des volcans d'asphalte,
nées de crues catastrophiques du Colorado, à l'abandon, sont un
lieu inférieur et parfaitement sinistre (Bombay Beach est situé
sous le niveau de la mer, c'est même le lieu le plus bas des
Etats-Unis). La mer intérieure de Salton, dont la salinité ne cesse
d'augmenter, forme l'extrémité sud de la faille de San Andreas. Il
est intéressant aussi d'étudier le discours complotiste du gourou
Drew Standish : s'il manifeste (en vertu du principe
d'inversion) une parodie de transcendance, que penser de ses propos
sur le symbolisme de la pomme, qui va des Beatles (maison de
production) jusqu'à Steve Jobs ?
L'Amérique
fume et exhale des pseudopodes. Caitlin R. Kiernan ne fait peut-être
ici que jouer avec notre goût du mystère mais c'est une voix
indubitablement accomplie de la dark fiction.
mercredi 6 juin 2018
dimanche 3 juin 2018
L'agonie de Gutenberg, de François Coupry: de l'écrit monomane à l'écrit édifiant.
Cette note de lecture est également en ligne sur Mauvaise Nouvelle.
(livre reçu en service de presse)
François Coupry est un héritier littéraire de Franz Kafka et de Jules Verne, deux auteurs qui, chacun à sa manière, ont pressenti ce que serait le vingtième siècle et au-delà. En une synthèse risquée, on pourrait avancer que ces derniers ont peint le portrait de la vitesse, de l'électricité, de l'industrie et des zones grandissantes d'absurdité née d'un monde en proie au vertige de l'accélération. Coupry, aujourd'hui, rejoint les analyses de l'architecte et essayiste Paul Virilio (inventeur de la dromologie) mais, pour ce faire, emprunte le chemin de la fiction. Si une utilisation de l'électricité a pour résultat de transmettre l'information beaucoup plus rapidement que par le papier, Gutenberg « agonise » en effet, relégué qu'il se trouve au rang de promoteur technologique suranné. Ce serait bien un problème occidental, au passage : la Chine classique, qui fut la première à inventer l'imprimerie, n'est pas en cause mais la Terre entière n'est-elle pas désormais à l'image et à la ressemblance de ce qu'il y a de plus anti-traditionnel en Occident ?
(livre reçu en service de presse)
À travers une compilation de textes initialement rédigés (de 2013 à 2017) pour des blogs et des réseaux sociaux, François Coupry
brosse l'évolution de notre rapport au monde, de notre rapport aux uns
et aux autres, et la manière dont s'en ressent la littérature. S'il est
question d' « agonie », c'est que quelque chose de notre constitution
culturelle est mort ou se trouve en passe de l'être. Que peut-il
s'ensuivre ? Nous allons voir que l'auteur ne se contente pas de sonner
le glas mais qu'il utilise un vénérable dispositif à même de nous faire
franchir le Rubicon, l' « agonie » en question.
François Coupry est un héritier littéraire de Franz Kafka et de Jules Verne, deux auteurs qui, chacun à sa manière, ont pressenti ce que serait le vingtième siècle et au-delà. En une synthèse risquée, on pourrait avancer que ces derniers ont peint le portrait de la vitesse, de l'électricité, de l'industrie et des zones grandissantes d'absurdité née d'un monde en proie au vertige de l'accélération. Coupry, aujourd'hui, rejoint les analyses de l'architecte et essayiste Paul Virilio (inventeur de la dromologie) mais, pour ce faire, emprunte le chemin de la fiction. Si une utilisation de l'électricité a pour résultat de transmettre l'information beaucoup plus rapidement que par le papier, Gutenberg « agonise » en effet, relégué qu'il se trouve au rang de promoteur technologique suranné. Ce serait bien un problème occidental, au passage : la Chine classique, qui fut la première à inventer l'imprimerie, n'est pas en cause mais la Terre entière n'est-elle pas désormais à l'image et à la ressemblance de ce qu'il y a de plus anti-traditionnel en Occident ?
Ce que la concaténation de textes dans L'agonie de Gutenberg nous
montre par ailleurs, c'est qu'en dépit du grand bond cybernétique, nous
avons encore et toujours besoin de fictions, seulement la différence
réside désormais dans notre recherche de simulacres. Là où jadis,
l'écrit était fondateur, il est aujourd'hui monomane. Là où jadis, il
était question de transmettre un savoir sans s'occuper de la
personnalité du transmetteur, aujourd'hui, la plupart du temps, des égos
surchauffés dissertent de manière morbide sur leur nombril et rien
d'autre. Certains textes de Coupry peuvent d'ailleurs laisser croire
qu'il n'échappe pas à la tendance mais se borner à ce point de vue
serait méconnaître l'ampleur de son travail. Les souvenirs de jeunesse
qu'il peut évoquer, une certaine mise à l'écart due à une surdité
partielle ne constituent en quelque sorte que des points de passage
dialectiques. Cela ne signifie pas qu'ils ne sont pas intéressants en
eux-mêmes mais que l'auteur les surpasse afin de déboucher sur des
constats et des interrogations plus universels.
Coupry initie à vrai dire un retournement de tendance : sans renoncer
à ses idiosyncrasies (passages autobiographiques), il choisit la fable,
la saynète, le conte : autrement dit, il désamorce la tendance à la
fiction anesthésique par le recours à la fiction édifiante. Le conte
instruit, on pourrait même affirmer qu'il est le sommet de la
littérature. Proposé à tous mais destiné à ceux qui sont qualifiés pour
le comprendre, et donc pas seulement aux enfants biologiques, ce type de
texte n'a en réalité que peu de rapports avec l'escapisme adulte mais
régressif qu'il suscite aujourd'hui à son corps défendant. L'enfance
comme condition sine qua non de la bonne assimilation du conte a
peut-être plus de liens avec l'enfance au sens évangélique ou, si l'on
préfère, avec une saisie intuitive, non discursive de certaines vérités.
Une tâche de la critique littéraire pourrait être, à cet égard, de
montrer ce qui, dans un texte, est de l'ordre de l'individualité de
l'auteur et ce qui se tient par-delà celle-ci (et donc même,
éventuellement, à l'insu de l'auteur), notamment depuis, en gros, la
Renaissance. Cela éviterait des discussions, pour ne pas dire des
polémiques, parfois longues et stériles. François Coupry qui, à mon
avis, à déjà compris ces choses depuis un certain temps, opère aussi son
retournement par le biais de l'impression d'un livre de papier,
artefact non pas régressif mais démineur de « tendances » et narquois
comme un pied de nez. Ce faisant, il se pose à la croisée des chemins
(diffusion traditionnelle de la connaissance via l'imprimerie, diffusion
électronique et instantanée de la moindre « onde sismique » causée par
tel ou tel ego) mais pas dans une position de dilemme. C'est l'avantage
de la voie (voix) du conte : une salutaire mise à l'écart de tout ce qui
est trop personnel et qui risquerait de grever le message de ses bruits
parasites mais aussi une entrée dans l'hyperespace de l'intuition que
permet le principe d'analogie.
Si « agonie » de Gutenberg il y a, en définitive, ce n'est pas
tellement à cause de la cybernétique mais à cause de ce que l'humain
fait de la parole dont il est dépositaire. Pied de nez,
effectivement, mais pied de nez doux amer car derrière les interventions
de tel ou tel personnage, de tel ou tel animal, voire de tel ou tel
objet, l'auteur met à jour notre trahison désormais constante du logos.
Là où le langage peut façonner des mondes, des intellects, nous nous
repaissons maintenant de fictions délétères servant à nous maintenir
dans un esclavage mental abominable mais seyant. Ici, nous passons du
domaine strictement individuel au domaine civilisationnel. Nous ne nous
épargnons rien pour entretenir nos jeux d'illusions et de pouvoir.
Coupry le montre avec brio : ce qui pouvait sembler originellement un
épanchement dérisoire et jetable au bout de quelques minutes
d'attention, une petite giclure égotique pour réseaux sociaux, est en
réalité un dispositif redoutable, une suite de tirs de précision. Un
manuel de combat, presque, et une invitation à redécouvrir nos
véritables cosmogonies.
Un petit florilège en guise de conclusion :
- « Seul le faux n'est pas inexact. »
- « Démêler le faux du presque faux, le pas vrai du pas trop vrai. »
- « Les récits recréent la réalité et la vérité. »
- « Une représentation du monde n'est efficace que si elle joue sur le décalage, sur l'activité de ce qui n'est pas dit ou montré. »
- « les circonvolutions cycliques du cerveau humain »
- « le culte d'une modernité absolue »
- « La pointe du progrès ne se réalise pas toujours avec les pointes des sciences. »
- « Le bonheur immédiat (…) fonde nos ruines communes. »
- « Nous avons tous trop peur de la fin du monde et (…) nous ne sommes plus assez intelligents. »
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