Momo
dort sur le dos, abruti par la nuit caniculaire. Il s'est couché
vers les deux heures du matin, après avoir longtemps hésité entre
deux vidéos de cul sur lesquelles se branler. Momo ne sait pas faire
grand chose mais il dispose d'un ordinateur et sait se connecter tout
seul. De toute manière, il a le temps, si ce qu'il cherche ne vient
pas tout de suite, ce n'est pas grave. Momo est sans emploi et entend
bien le rester.
C'est
le début de l'été. La poussière et les acariens s'épanchent en
lents remugles d'un bout à l'autre du monde de Momo; dans le studio
qu'il loue tant bien que mal, la baie vitrée n'a pas de volet et,
comme elle est orientée à l'est, dès le petit matin il se prend le
soleil dans la gueule, malgré un grand rideau de velours rouge qui
court d'un mur à l'autre. La propriétaire ne passe qu'une fois par
an : c' est une vieille femme obsédée par l'argent et le doré,
le faux cristal au plafond, le faux or sur les poignées de portes.
Le goût de chiotte.
Depuis
la dernière visite de la vioque, il y a eu un peu de changement :
à présent, les lattes du canapé cuir beige diarrhée sont
défoncées. C'est également un lit mais, du coup, Momo ne peut plus
le replier. Un jour, il s'est laissé choir sans retenue et crrrronk.
Il dort dans un énorme creux, en travers, avec des choses pointues
qui lui massacrent la colonne vertébrale lorsqu'il ne parvient pas à
se caler dans une position moins inconfortable.
C'est
l'été, ça sent déjà la merde surchauffée dans les rues, au
petit matin. Ça ne va tarder à remonter jusqu'à son cinquième
étage mais pour l'instant, le corps gluant de sueur contre le cuir
détrempé, Momo dort. Sauf qu'il se réveille. D'une façon qu'il
n'avait pas prévue.
Le
chatouillis est discret mais on ne peut plus présent, sur la jambe
gauche. Momo conserve l'immobilité, se demande ce qu'est cette
petite démangeaison. Il se redresse lentement dans le demi-jour du
rideau rouge. Le soleil le frappe par la gauche. Une fois sur les
coudes, la transpiration accumulée par les heures se met à
descendre en sillons gras sur son front. De son bras droit, il allume
une petite lampe de bureau, achetée d'occasion, qui fait avant toute
chose office de lampe de chevet. De la chaleur s'ajoute à la
chaleur. Momo lâche une caisse profonde qui s'en va résonner dans
les entrailles défoncées du canapé.
La
blatte avance péniblement sur sa jambe. Pour elle, ça doit être
l'enfer amazonien : terrain visqueux de sécrétions
malodorantes, chemin à frayer au milieu de poils dont le noir
tranche sur la peau sans bronzage de Momo, blanche comme une chair de
poisson mort quoique rehaussée par l'éclairage de l'heure.
Momo
laisse faire. Ce n'est pas la première fois qu'il croise ces
bestioles. Il en dégomme régulièrement dans son studio. Elle se
planquent près du petit frigo, de l'évier, ces salopes. Là où
elles sont franchement connes, c'est quand elles gravissent le mur
blanc. Momo sent leur présence, même sans les voir, mais elles
compensent leur outrageante visibilité par une promptitude
singulière à se barrer vite fait quand surgit la menace d'une
pantoufle. Momo marche dans des pantoufles trouées qui sentent le
fromage, mais ça le fait quand même. Il faut juste le bon angle
d'attaque, le bon juger, et une vitesse encore supérieure à celle
de l'adversaire.
Oui,
aujourd'hui, Momo laisse avancer la visiteuse. Il reste immobile, se
prend pour un ninja capable de résister à tous les chatouillis de
l'Enfer. Il s'imagine ancien disciple d'un monastère secret dans le
trou de balle du Népal, ou du Cantal. Très attentif à toutes les
sollicitations sensorielles, il écoute également avec concentration
les bruits de l'extérieur, comme par exemple les ambulances
insomniaques, aux sirènes terminales, qui s'en vont ramasser les
premiers asphyxiés du jour. Pendant ce temps, la blatte poursuit sa
progression. Les voisins du haut sont en train de baiser : il
entend que ça gémit crescendo.
Elle
a tout de même réussi à grimper sur ma queue, se dit Momo. C'était
l'objectif. Elle a de la place, la garce. Elle peut me remercier
d'être en érection. La cancrelatte, se dit Momo, je vais lui mettre
une latte, mais pas tout de suite. L'autre, intriguée, monte, se
perche conquérante, descend, fait le tour, s'arrête, palpe le paf
de ses antennes curieuses. Momo ne débande pas, bien au contraire.
Momo
laisse faire.
Au
bout de dix minutes, un geyser de foutre, le Vieux Fidèle du Matin,
gicle du membre rance de Momo. La blatte, sentant le terrain se
dérober brusquement, prend ses pattes à son cou (ou ce qui en tient
lieu), redescend à toute vitesse par une couille tandis que Momo
pousse deux ou trois aarrrh
aarrrhhhh.
Cette fois, il quitte la position allongée. Sa copine se repose un
peu plus loin, sur le bord du matelas-monde. Momo se ravise. Il ne va
pas la frapper, finalement. Il pisse de sueur, ça lui rentre dans
les yeux, il ne voit plus très bien. En plus, comme il vient de
juter, il est convaincu qu'il ne sera pas assez rapide pour
l'atteindre. Prudemment, sans faire de mouvements trop vifs, il se
lève. Ses pieds entrent en contact avec les carrés de moquette en
faux poil de sanglier. À cause de cette couleur, c'est plus
difficile de repérer les intrus de ce genre. Sous l'évier, il
déniche sa bombe d'insecticide. Revenu au matelas (le chemin n'est
pas long), il envoie les gaz un peu au hasard, dans ce qu'il suppose
être la direction où se trouve sa cible ; il espère que cette
dernière est restée immobile pendant qu'il s'équipait.
Sa
queue se souvient encore de l'indicible volupté de cette promenade
d'insecte ; mais Momo, comme tous les humains, se désinvestit
très rapidement (là-haut, les voisins ont fini de baiser). En plus,
l'autre n'a pas bougé et morfle direct le jet sous pression. À
l'odeur de sperme, de sueur et de cul qui règne dans le logement
s'ajoute à présent la fragrance chimique de l'insecticide. Momo
transpire de plus belle et manque jouir une deuxième fois, quasiment
dans la foulée, à la vue de la blatte qui remue furieusement ses
antennes. Momo, comme hypnotisé, la regarde s'éteindre. Au bout de
quelques instants, c'est fini.
Momo
va remettre l'insecticide sous l'évier, puis revient s'asseoir sur
une chaise. Il n'en a pas bien conscience, mais il va rester immobile
pendant de longues minutes, perdu dans la contemplation de cadavre de
l'insecte. Il ne dit rien, ne pense plus. Tout juste si, par moments,
il prête attention à ses flatulences, ou aux protestations de son
estomac vide.
Passées
quelques heures à peine, le corps de la blatte entre en
décomposition. Momo s'en étonne : il en a déjà tué, de ces
saletés, à l'insecticide, à la pantoufle, mais jamais elles ne
sont parties en sucette comme ça. Momo observe toujours les cadavres
de ces cafards qui ne ressortent plus vivants de son studio quand ils
ont eu le malheur d'entrer dans celui-ci, il ne prend aucune note
mais sa mémoire retient fidèlement les circonstances de leur fin.
Eh bien, ils ne se décomposent pas, d'habitude. Sauf que là, pour
la première fois, il constate de l'inédit : très vite, il ne
reste plus qu'une espèce de petite bouillie couleur de rouille.
Momo, fasciné, n'y touche pas. Sa transpiration imprègne la chaise.
Le
soir de ce même jour, toujours assis, les fesses bien endolories de
n'avoir pas bougé, il se met à pleurer doucement.
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