Le numéro 207 de The Flash paraît en juin 1971 et sa couverture propose des éléments remarquables. Le titre, d'abord: "The Evil Sound Of Music!" Il se situe délibérément entre deux conceptions antagonistes de la combinatoire sonore (comme c'est bien dit). La première (chronologiquement) est celle qui veut que le rock soit une invention du Diable. C'est plus ancien que cela, en fait: l'"invention" en question remonterait au Moyen Âge. Elle-même dériverait d'une application dérivée, inférieure de l'enseignement pythagoricien.
Un jour, une jeune fille me demanda si le rock (qu'elle aimait beaucoup) était vraiment de nature démoniaque. Je sentis chez elle la même tension que sur la couverture, à ceci près qu'il ne s'agissait pas d'un jeu à fins mercatiques. Il fallait dédramatiser et c'est ce que j'ai tenté de faire en lui répondait que, bien évidemment, c'était la musique du Diable mais que le Diable s'en fichait pas mal, et Dieu aussi, parce qu'ils avaient d'autres problèmes à régler. Je ne sais pas si c'est vrai mais, au moins, je fus récompensé d'un sourire sincère.
L'autre aspect de la tension qu'exprime ce comic book est la volonté de suivre l'air du temps. Juin 1971, donc, c'est-à-dire moins de deux ans après le festival de Woodstock (août 1969). L'histoire de l'éditeur DC Comics montre qu'au cours des années soixante, c'est Marvel Comics, naguère petit rival, qui prend un ascendant sur sa "Distinguée Concurrence", à cause de (ou grâce à) des histoires pas nécessairement plus réalistes mais davantage en prise sur le Zeitgeist ("l'esprit du temps", expression littérale à laquelle on préférera peut-être "l'air du temps"). Marvel n'hésite pas à aborder des thèmes comme la solitude, les difficultés financières, la mort, la ségrégation raciale, la drogue... S'agit-il, de la part de Stan Lee (alors responsable éditorial chez Marvel), d'une démagogie de survie dans un milieu à forte concurrence et dont la volatilité du lectorat est bien connue? Pas impossible mais, par rapport à ce qui nous occupe aujourd'hui, ce n'est pas grand chose. DC s'est vu dans l'obligation de mettre au goût du jour ses personnages, sous peine de ringardisation mortelle.
Superman, Batman, Green Lantern, Wonder Woman, beaucoup y passent. D'autres, moins aisément "maniables" en termes d'image, sont éclipsés. (Je pense par exemple au Martian Manhunter, pourtant membre de la Justice League of America.) En ce qui concerne Flash, rappelons les choses suivantes: sous son identité civile de Barry Allen, policier scientifique, l'homme le plus rapide du monde est ce qu'on appelle à l'époque un square. Ce terme désigne une personne pas "dans le vent". Allen, pendant toutes les années soixante, se balade de numéro en numéro avec ses petits costards proprets, son nœud papillon, sa cravate. En plus, il a les cheveux très courts. Toute la série, à l'époque dessinée par Carmine Infantino, exprime un aérodynamisme vainqueur. Eh bien ça, en juin 1971, c'est plus possible. Ça servirait juste à dézinguer la série. Dans le numéro 207, Allen s'est laissé (un peu) pousser les cheveux. Il porte encore des costumes mais avec un look nettement plus "pop". Quand je relis cette histoire, aujourd'hui, je vois des touches lourdingues dans les dialogues, touches tartinées à la truelle pour que le lecteur comprenne bien qu'Allen est "hip".
Là aussi, s'agit-il de démagogie? DC aurait-il suivi le Zeitgeist si Marvel ne l'avait pas fait? "The Evil Sound Of Music!" C'est une provocation pas stupide, en fait. C'est parfait pour donner envie de voir ce qu'il y a à l'intérieur. Par ailleurs, le monstre de la couverture possède une apparence tout à fait psychédélique (semblant surgir de la tête de sa victime, on pense immédiatement à un mauvais trip au LSD) mais là, je trouve que DC joue un peu avec le feu. En juin 1971, le mouvement hippie commence sérieusement à se casser la gueule, si ce n'est déjà fait. Deux événements l'ont mis à terre en 1969: les meurtres perpétrés par Charles Manson et sa "famille" ainsi que le désastreux concert des Stones à Altamont. Flash restera néanmoins un personnage populaire de l'écurie DC.
Une dernière remarque: notre héros ne dit pas "That nightmare is going to kill my wife.." À la place de "kill", que la commission de censure n'aurait pas accepté, nous lisons "destroy", ce qui était, semble-t-il, plus pudique. Aujourd'hui, ce numéro n'est pas déconseillé à partir de l'âge de douze ans.
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