Les
mélanges se mélangent mal dans mon bide et, correctement bourré à
ce vernissage, je fends la foule aussi rapidement et discrètement
que possible pour rallier les gogues. J'ai la gueule verdâtre,
jaunâtre, je ne sais pas, pas rosâtre en tout cas, je contiens,
lèvres serrées, une première vague de gerbe, ça fait un peu
"oug-oug" avec mes cordes vocales. Je parviens à ravaler.
Je ruisselle de sueur froide, ma vue se brouille et mon horizon
penche un peu trop à gauche. La porte des toilettes me semble encore
à des années-lumières mais mon bras géant m'a précédé,
lui-même a envoyé ma main comme fringant héraut. J'ouvre. Fonce
dans un box libre. La deuxième vague me remonte le tractus, je n'ai
pas le temps de verrouiller derrière moi et ça part dans un eeeeuuuuuuuuuaaaaaaaaaaaarrrrrrrrrrrhhhhgglglglrrrhhh titanesque.
Pour
le coup, c'est maintenant que c'est rosâtre.
Dans
la cuvette. Je me prosterne devant le faux dieu de l'évacuation, en
réalité je ne lui paie qu'un faux tribut car je suis trop cuit pour
nettoyer quoi que ce soit, je le sais d'avance. Le gros du travail
n'est pas de tout évacuer, tout finit par gicler en son temps.
Personne ne m'entend, je constate. Tu peux crever, l'Art et
l'enculade en réseaux sociaux prévaudront toujours. Non, pour moi
le duraille, ça va être de se relever et d'aller me chercher un
coca au buffet afin de dissoudre les gros bouts qui restent coincés
l'intérieur, entre les dents, tout ça... Le coca, solvant universel
de la gerbe. Après, tu te sens mieux, je t'assure. Je ne dis pas
cela pour faire de la pub. C'est juste la stricte vérité chimique.
Faux
tribut, donc. Car, bien entendu, je ne vais rien nettoyer. J'offre
mon vomi aux invités. J'ai mal aux genoux en me relevant après
quelques minutes, je me cogne contre la porte (j'ai tout de même
réussi à fermer derrière moi, à la faveur d'un jusant de
bouillasse intestinale). J'ai la tronche qui fait ding-dong. Il va me
falloir retraverser l'amabilité de tous ces cons sapés Kooples,
Zadig & Voltaire et qui bandent, mouillent puissant dans les
meetings du Front de Gauche.
Je
repars donc en sens inverse, finis par attraper une canette de
solvant que j'avale cul sec. J'entends des cris horrifiés en
provenance des toilettes. C'est ma dégueulitude finale qui en est la
cause, je pense. Confirmation. Ça se concentre devant l'entrée des
lavatories. Ha ha ha. J'ai du mal à bien voir car je demeure quelque
peu en retrait, mais je comprends bien vite que deux ou trois nanas
sont prises d'un malaise à la vue de mon petit performing. Personne
ne s'en prend à moi. Ils étaient tellement occupés à s'astiquer
mutuellement le jonc social, et moi, vous dis-je, je fournissais
tellement d'efforts pour ne pas me faire remarquer (pas comme je
l'avais prévu en tout cas), que mon triomphe est total alors que
j'aborde une vague connaissance qui se trouve à mes côtés, rance
mémère au regard torve de frustrée des zarzélettres, le genre
je-reste-inconnue-et-que-c'est-pas-normal-alors-que-Sunderland-lui-il-écrit-ses-merdes-et-que-les-gens-aiment-ça.
Sunderland, c'est moi, j'ai envie de lui gueuler, un peu comme comme
Michel Simon gueule "L'Etrangleur, c'est moi!" dans
l'excellent Ibis rouge de Mocky... Mais je choisis une autre option.
Je lui demande si elle a déjà vu des pigeons. Ben oui évidemment,
qu'est-ce que vous voulez dire? Regard de bonne coconne qui commence
à se douter qu'on se fout de sa poire depuis des lustres. Et moi de
reprendre: "Un jour, j'étais à la Gare de l'est, c'était
l'hiver, il faisait froid, les pigeons n'avaient rien à se mettre
dans le bec. Eh bien, j'en ai vu deux ou trois s'approcher d'une
flaque de vomi qu'un môme venait de lâcher à l'extrémité du banc
où j'étais assis. Ils ont marché dans le vomi, ils ont picoré le
vomi. Il y avait des bouts un peu gros qui dépassaient de la surface
et..."
Je
n'ai pas le temps d'achever mon récit (j'ai dit l'essentiel, de
toute façon). Mémère, que l'odeur de gerbe émanant des chiottes
overpowers, comment dire, l'odeur puissante qui s'empare d'elle (car
des nanas invités au vernissage en ont remis plusieurs couches, à
la vue de mon premier dépôt, et les moins désespérés tentent
d'organiser les secours, et le nettoyage), l'effluve surpuissant,
donc, a raison de sa résistance: la voici qui lâche le paquet, à
son tour, directement sur le plancher (c'est jaunâtre, chez elle;
c'est une aigrie, ça se voit). Je me suis éloigné juste avant. Je
m'éclipse en toute tranquillité, lâchant paisiblement deux, trois
bulles géantes de gaz sous l'effet du coca. J'ai repris des
couleurs, moi. Derrière, déjà très loin, la fête bat son plein,
pas comme prévu certes. Mais tout de même. Eux qui raffolent de
l'impro, je les ai gâtés. J'ai même eu la modestie de ne pas faire
de cabotinage ("eh, c'est moi qui ai vomi le premier!").
J'ai
la conviction que l'anonymat de l'artiste, dans certaines
circonstances, est une indispensable ascèse.
Je
débarque sur le trottoir. Dehors, les martinets du mois de mai sont
tout joyeux de leurs acrobaties, ces fripons.
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