J'ai
bien calculé le coup. J'attends que ça passe au vert, vitre
baissée, avant-bras gauche qui pendouille. J'ai choisi une avenue
parallèle à la ligne du tram, avec intersection à l'ancienne
(feux). Ça ne changera pas, à cause du (grâce au) tram. Je me suis
bien positionné: ma Ford Taunus pourrie juste devant des pouffettes
roses qui attendent la prochaine rame.
Cheveux
qui me descendent un peu sur les oreilles, ray-ban teintées, bide en
coulée par-dessus le ceinturon, double menton pas trop rasé,
j'écoute à fond, elles ne peuvent pas ne pas entendre La maladie
d'amour (Sardou summer 73). Elles me regardent sans rien dire, la
bouche entrouverte. Dix-huit ans, tatouages, sapes collantes, gros
culs, la poussette, le gniard analphabète mais déjà prêt à
casser les couilles durant toute sa carrière.
Je
sais. Je ne devrais pas écrire ça.
Je
les regarde, ou plutôt: ma tête se tourne lentement vers elles, mes
ray-ban les fixent de toute leur nuit d'aviateurs américains
fantômes et d'Elvis crucifiés.
Mon
bubblegum gonfle, il est rose aussi, je mâche comme une grosse pute,
sans rien dire, le rétracte, l'invagine buccalement, le ressors, le
reprends.
Elle
surprend l'écoliè-èère, sur le banc d'uune cla-asse, par le
charme innocent d'un professeuuur d'an-anglaais...
Feu
vert. Le temps que les autres devant se soient réveillés, j'ai le
temps de former un sourire, pendant une phase de tsimtsoum
bubblegumesque. Les filles me regardent, l'air de dire "mais y a
de ces cassos en liberté, aujourd'hui."
Oh,
comme c'est vrai.
Demain,
à la même heure, je reviendrai. Elles seront peut-être à nouveau
là. J'adopterai une posture légèrement différente, je pense.
L'amour
est enfant de Bohême. Car il n'y a pas non plus que Sardou, dans la vie.
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