Pas
très connu en France, Martin Caidin (1927 - 1997) fut un pilote de
guerre doublé d'un prolifique écrivain spécialisé dans l'histoire
de l'aviation et de l'astronautique. Il écrivit également un
certain nombre de romans dits de science-fiction. Disons qu'à la
limite, certaines de ses productions sont plus célèbres que lui:
les geeks n'auront aucune peine à se souvenir de la série The
Six Million Dollar Man
(L'homme qui valait trois milliards), basée sur son roman Cyborg.
Caidin publia aussi un roman, Marooned,
adapté au grand écran par John Sturges en 1969 (qu'ici nous
connaissons sous le titre Les naufragés de l'espace). Caidin
s'occupa également de l'adaptation romancée du film de Dan Taylor,
The
Final Countdown
(Nimitz, retour vers l'enfer), sorti en 1980.
A
peu près tout le monde s'accorde à dire que les romans de Caidin
sont prophétiques. Le gros de sa production s'étale en gros des
années soixante aux années quatre-vingt et, en effet, il m'apparaît
aussi que ses fictions vieillissent assez bien. Caidin a bien vu vers
quoi s'orientait la conquête spatiale. Marooned,
écrit en 1964, annonce involontairement, et avec un réalisme
certain, "l'échec couronné de succès" que fut le très réel désastre que fut le vol Apollo 13 de 1970. Même Cyborg,
que nous devons impérativement apprendre à lire comme autre chose
que le prétexte à voir courir à super-vitesse (et au ralenti) le
sympathique Lee Majors, est une anticipation fiable sur les progrès
de la bionique, c'est-à-dire de l'interaction entre l'homme et la
machine.
The
God Machine, roman écrit en 1968, narre la construction top secrète
par le gouvernement américain d'un ordinateur géant, d'une
puissance phénoménale. Les personnels, basés près du NORAD, dans
le Colorado, ont été triés sur le volet. Le chef de projet, Steven
Rand, a été approché dès ses études secondaires après une
batterie de tests d'aptitude intellectuelle et psychologique. Rand
est un surdoué des mathématiques et de l'informatique. La
description de 79 (c'est le nom de code de l'ordinateur), les
spéculations qu'avance Caidin, par l'intermédiaire des
protagonistes, sur l'avenir de la cybernétique, des autoroutes de
l'information, sont extrêmement intéressantes à lire s'il on se
souvient que ce livre est paru un certain nombre d'années avant
qu'internet tombe dans le domaine public.
Bien
entendu, la délicate opération finit par foirer. Comme dans
beaucoup de fictions à caractère catastrophique, l'auteur nous
laisse clairement entendre que le succès aurait pu se trouver au
bout de la route si certains événements relevant uniquement de la
faiblesse (ou de la complexité) humaine n'étaient pas intervenus.
Pour dire cela autrement: Caidin ne condamne pas, par rapport à
l'intrigue, le réalité de cet ordinateur, mais certains mobiles qui
ont présidé à sa conception. 79 engrange toutes les connaissances,
dans tous les domaines. Jusqu'ici, rien de méchant. Le problème est
qu'une coterie gouvernementale, dirigée directement depuis la Maison
Blanche, n'a pas avoué à Rand que 79 a été construit pour
résoudre tous les problèmes nés d'une géopolitique mondiale de
plus en plus sensible. En 1968, la guerre du Vietnam fait rage, la
crise des missiles de Cuba est encore bien présente dans les
esprits, et même si Khrouchtchev n'est plus au pouvoir, l'URSS
demeure une menace potentielle.
Or,
79 finit par développer une sorte de "conscience". Très
puissant, très précis dans la finesse de ses "raisonnements",
de ses calculs, construit par un homme, Rand, fasciné par
l'interaction homme-machine (The
God Machine
annonce d'un certain point de vue Cyborg,
écrit quelques années plus tard), il finit par s'apercevoir que le
meilleur moyen, le moyen le plus logique d'éviter l'holocauste
nucléaire général, est de contrôler les bons leviers humains.
Mais ici, il n'y aura pas de diplomatie. Plus de trente ans avant
Terminator
et Matrix,
The God Machine raconte l'histoire d'une prise de contrôle à ses
débuts. Nous n'y voyons pas de robots mais des humains transformés
en chiffres, plongés par l'ordinateur dans un état de suggestion
post-hypnotique, ce qui, finalement, revient un peu au même. Nous
n'éprouvons pas de doutes sur la réalité du tissu atomique
constituant l'univers dans lequel nous nous déplaçons; nous
éprouvons en revanche, avec le protagoniste, une paranoïa
grandissante au fur et à mesure que nous avançons dans l'histoire:
qui est contrôlé à son insu? Qui ne l'est pas? Qui est mon allié?
Mon ennemi?
Rand
devra fuir plusieurs tentatives d'assassinat. Au cours de sa
pérégrination, il finira par comprendre qu'il ne reste plus qu'une
solution pour débrancher un ordinateur construit pour ne jamais
s'arrêter, un complexe gigantesque doté des protections
cybernétiques et matérielles les plus redoutables (lasers, réacteur
atomique). Les conversations entre Rand et 79, très bien menées par
Caidin, sont un duel délectable. Rand ruse, perd pour gagner. Car il
a compris que 79 (n'importe quel ordinateur, en fait) est un
excellent joueur d'échecs, mais un piètre joueur de poker.
79, logique jusqu'au bout de ses circuits, est incapable de mentir.
79
ne sait pas bluffer.
Rand se servira de cette limitation pour s'approcher de 79.
Cependant, pour neutraliser celui-ci de façon effective et
définitive, il devra y aller à la bite et au couteau, c'est-à-dire
avec des moyens physiques. La fin du roman m'a laissé en bouche une
très intéressante amertume: Caidin semble dire que toutes les ruses
de notre intelligence trouvent leur justification lorsqu'il s'agit de
combattre un mal. Mais le coup final, matériel, est un retour à des
méthodes beaucoup moins fines. La simplicité de l'arrêt de 79
signe à mon sens une sorte de victoire à la Pyrrhus. Le prix à
payer est, encore plus radicalement, le don de sa vie. Mourir pour
détruire sa création devenue folle. Mais n'oublions pas:
initialement, c'est le mal dans l'être humain, la dissimulation, qui
manque plonger le globe dans le chaos. 79 ne hait pas, n'aime pas. 79
est logique, c'est tout. Pour ma part, j'aurais aimé que certaines
situations fussent étoffées, certains personnages également
(l'assistante de Rand est une blonde relativement inconsistante).
J'aurais vu d'un bon oeil l'absence de certains tics d'écriture
(interjections du narrateur, par exemple). Cela dit, je ne vais pas
cracher dans la soupe: j'ai lu très vite et avec un réel plaisir ce
roman.
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