samedi 17 juin 2017

La mort du petit commerce

 À une époque, je me livrais à la contrebande de crottes de nez. C'était un job lucratif mais l'Union Européenne a fini par interdire cette activité. Un jour, j'ai eu chaud: je transportais dans ma Taunus un chargement que je voulais faire passer d'Italie en France. Je l'avais récupéré d'un chalutier de l'Adriatique, à Rimini plus exactement. Parmi les petites ampoules de verre, il y en avait deux d'un prix, d'une rareté considérables: des crottes de nez d'Adolf Eichmann et de Katy Perry. J'avais l'intention de les revendre à Paris, dans le 16è. Je connaissais des amateurs éclairés, là-bas.

Seulement, ça a failli chier, dans les Alpes. C'était au tunnel du Mont-Blanc, côté français. Il y avait la gendarmerie, la douane volante. Ils faisaient stopper les véhicules. Je me suis exécuté, comme tout le monde. Moi, c'était devant une douanière, une jeunette pas vilaine, je m'en souviens. Avant qu'elle entamât son opération de contrôle, j'ai baissé ma vitre, dégrafé ma ceinture de sécurité, lâché un glave. J'ai fait exprès de rater mon coup: mon huître s'est étalée sur ma portière couleur caca. Affichant un air dépité, j'ai passé un bras, ramassé le mollard avec mes doigts et l'ai remis dans ma bouche pour le déglutir sur l'instant. Il n'était pas question de laisser cette horreur sur ma portière, n'est-ce pas. La nana, écœurée, n'a rien contrôlé du tout dans ma caisse et n'a même pas pris la peine de vérifier mes papiers d'identité. En fait, elle m'a juste intimé, d'un geste large et vaguement exaspéré du bras, l'ordre de circuler.

J'ai bien évidemment obtempéré.

La journée était grise et froide, une approche de l'hiver assez sympathique, une ambiance comme je les aime. Il n'avait pas encore neigé, je n'avais pas eu besoin d'installer mes pneus contact. J'ai suivi le mouvement des autres voitures et poids lourds et sorti de la zone du tunnel, j'ai tracé vers Paris, sans excès de vitesse.

J'ai bien géré le problème.

Ce soir-là, boulevard Suchet, j'ai fait la joie d'un collectionneur averti, ce cher vieux marquis d'Esad, président de l'éponyme et discrète association culturelle (Eat Shit And Die). Il m'invita à rester dîner. Li, son cuisinier chinois, sut parfaitement apprêter les délicates boulettes de mucus dans son riz cantonnais (avec bœuf aux oignons).

Mais ça, donc, c'était avant...



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