lundi 19 juin 2017

L'ami américain (1/2)

On m'a signalé tout à l'heure que si, en Belgique, je désirais manger un tartare, je devrais commander un américain.

En France, l'américain désigne une merveille diététique absente de mon régime depuis trop longtemps. Cette histoire de bouffe m'a remis en mémoire une époque, désormais un peu lointaine, où, en conformité avec ce qui était alors mon statut d'étudiant, je descendais régulièrement d'un train, le dimanche soir, toujours à la même heure, pour être accueilli par une ville remarquablement hideuse et triste.

Aujourd'hui, j'ai un peu trop vite tendance à voir cette période sous un éclairage négatif mais il y a fort à parier que je me dissimule la vérité: déjà, en ces années, je prenais un malin plaisir au spleen. Cette cité à longue tradition communiste n'en manquait pas et je pense que, d'ici à ce que j'aie fini ce texte, toute l'envergure de mon plaisir délicat quoique douteux va correctement me sauter à la gueule.

Voyez comme à partir de pas grand chose, je me mets à déblatérer... Qu'est-ce que je ferais pas pour alimenter ce blog de merde que je viens de réactiver...

Je dois quand même préciser tout de suite que je n'ai rien contre la Belgique ni contre la personne qui, sans le vouloir, m'a assis dans mon chronogyre personnel à destination du passé.

Et puis, j'ai toujours aimé les américains. L'américain: une baguette de pain ouverte et dans laquelle on entasse un maximum de frites et de merguez. Mais reprenons dans l'ordre. Le chronogyre me dépose puis me reprend rapidement, toujours au même endroit, toujours un dimanche soir, sauf qu'à chaque fois, l'éclairage diffère, parce que ce n'est pas à la même saison. C'est de la mélancolie à tir rapide.

Le quai, la gare: quasiment personne, quelle que soit l'époque de l'année. Le décor n'a rien de fantastique au sens littéraire, c'est juste un immense appel à se faire chier. Je réponds bien vite à ce désespoir urbain (ou cet urbanisme désespéré).

Deux options s'offrent à moi. Soit je prends la voie longue en passant par le hall de la gare. Avec un peu de malchance (non: de volonté faible), je vais me prendre un bouquin de cul au point presse (qui s'appelle encore uniquement "marchand de journaux", à l'époque). Ce sera aussi déprimant que la seconde option: quitter de suite l'enceinte de la gare en prenant une sortie latérale, petite et largement ignorée. L'inconvénient, c'est que cela va m'obliger à gravir un petit crinquet de rue (les voies étant surbaissées) avec mon sac (pas encore à roulettes, à l'époque) et mon cartable mais je choisis l'option deux.

Le trottoir est défoncé, les arêtes de sa bordure sont usées par le temps, la pluie. La mort ajoute quelques touches finales avec des coulées de pisse çà et là, des merdes et la patine lugubre des maisons de brique rouge. 

Arrivé en haut, je débarque sur l'avenue où, à faible distance, se situe ma chambre d'étudiant. Vous allez me dire: mais l'américain, dans tout ça?

L'avenue est longue, très longue, je n'en vois pas le bout. Je n'ai jamais cherché à l'explorer et c'est pour cela que j'en rêve de temps en temps, mais de façon frappante, depuis que je n'y vis plus. Dans ma curieuse existence onirique, tout cela se recrée. Dans ma curieuse vie de jeune maladroit à prétentions intellectuelles, concrètement, l'avenue a beau être longue, affligeante d'entropie, délicieusement désolée, elle recèle un snack de bouffe à emporter à pas trente mètres de ma piaule!

(à suivre)



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