mercredi 5 juillet 2017

Désintégration d'un spectre de série A2

Hormis la marche du temps et l'approche de la mort, je n'ai rien ressenti. Si: la chaleur. Devenu graduellement spectral depuis quatre ans, ce corps dans lequel je me trouve (toujours) s'est déplacé dans un segment de ville morbide, cet après-midi-là. Je ne marchais pas vite mais je commençais à pisser de sueur. C'est-à-dire que ma spectralité était réservée d'abord aux autres. J'avais une vague consistance, une fausse consistance peut-être, en tout cas je l'ai perdue au fur et à mesure. Ils m'ont vu sous un jour puis sous un autre et là, déjà, je disparaissais.

Ce jour-là, j'ai totalement déserté le paysage, comme je m'y attendais. J'avais même envie de me déserter moi-même mais à l'époque, cet innomé n'était pas suffisamment abouti pour devenir la littérature de lâche que je vous inflige, puisque je n'ai pas le courage de me tuer. Donc je transpirais. J'ai fini par ressentir l'irradiation psychique des agglutinations humaines avant même de suivre le virage du trottoir, pas loin duquel se trouvait le but de ma sortie.

J'ai eu l'impression que la chaleur augmentait. Il a fallu que je prenne sur moi pour continuer d'avancer, à ceci près que je disposais d'un avantage sur les autres, concentrés dans l'enceinte: ma spectralité même, par conséquent je me trouvais dégagé de certaines obligations relationnelles. (En effet, parmi ces groupes se trouvaient nécessairement des gens avec qui j'avais coexisté.) Me faufiler entre les corps a requis un certain temps; des rires, des cris, des pleurs (certains de ces derniers poussés jusqu'au silence).

J'ai fini par trouver le bon panneau d'affichage. De manière méthodique, j'ai décrypté les en-têtes de listings. Je me suis quelque peu décalé vers le document me concernant. J'ai attendu qu'une ou deux personnes aient fini d'exploser pour approcher mon visage du papier chauffé par le métal sur lequel il avait été scotché.

J'étais titulaire du baccalauréat.

Je n'ai rien ressenti. Sauf l'entropie, donc, dans l'air de fête.

Plus tard, en soirée ou le lendemain, il y a eu çà et là des célébrations. Je n'ai pas été invité, ce qui m'arrangeait bien. J'ai sinué de nouveau à travers la cour du centre d'examen, sans presser le pas, suis ressorti sur le boulevard. J'ai repris le chemin par lequel j'étais venu. Le paysage si familier de ces années lycéennes, immeubles, terrain de sport, haies végétales, trottoir que des racines maltraitaient à certains endroits, était lui aussi dégagé de ses obligations. Lui aussi a commencé à se désintégrer. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire