mercredi 26 juillet 2017

The Three Impostors, d'Arthur Machen

Ce roman de 1895 se compose de plusieurs nouvelles en apparence lâchement raccordées les unes aux autres: 1) Prologue, 2) Adventure of the Gold Tiberius, 3) The Encounter of the Pavement, 4) Novel of the Dark Valley, 5) Adventure of the Missing Brother, 6) Novel of the Black Seal, 7) incident of the Private Bar, 8) The Decorative Imagination, 9) Novel of the Iron Maid, 10) The Recluse of Bayswater, 11) Novel of the White Powder, 12) Strange Occurrence in Clerkenwell, 13) History of the Young Man With Spectacles, 14) Adventure of the Deserted Residence. J'indique le sommaire car il est possible, au format numérique, d'acheter tel ou tel de ces textes sans que le lecteur sache qu'il s'agit malgré tout d'un ensemble cohérent à lire de préférence intégralement et dans l'ordre.

The Three Impostors se termine par une scène d'horreur en rapport avec les agissements d'une société secrète spécialisée, si l'on ose dire, dans l'accomplissement de rites païens et de débauches. Les trois imposteurs en question sont des membres de cette société qui se tient en quelque sorte dans l'arrière-monde londonien, en filigrane d'une capitale soit hédoniste (en particulier son centre géographique, socialement et architecturalement favorisé), soit anonyme, voire misérable, dès qu'on se retrouve en banlieue. Ils constituent le lien entre les différentes histoires. À la recherche d'une pièce romaine antique commémorant une orgie de l'empereur Tibère, ils finissent par retrouver leur proie: "le jeune homme à lunettes" ("the young man with spectacles").

À ces trois redoutables individus (deux hommes et une femme; la femme, bien sûr, est la plus dangereuse!) s'opposent dialectiquement trois Londoniens assez typiques de la fin du XIXè siècle. L'heure est à la déclinaison objective des rapports que l'Homme entretient avec le monde. La ville devient alors un objet d'étude, une sorte de cabinet de curiosités géant recelant lui-même des cabinets de curiosités particuliers dans des lieux où on ne s'y attend pas toujours. L'anthropologie, l'ethnologie sont des sciences en plein développement. Cela dit, le portrait que Machen dresse de ces trois derniers personnages est passablement ironique. Malgré nos prétentions rationalistes, nous vivons dans un univers auquel nous ne comprenons pas grand chose, à tel point que l'ignorance est peut-être préférable à la connaissance. Les récits folkloriques ruraux, par exemple, masquent derrière l'émerveillement une réalité parfaitement ténébreuse: depuis des âges extrêmement reculés, des êtres non-humains redoutables peuplent la Terre. Le symbolisme du serpent serait une édulcoration de cette réalité. Seule la peur nous a fait plaquer sur la vérité un plaisant vernis légendaire. Le problème est qu'il ne s'agit pas seulement de littérature: le XXIè siècle n'a toujours pas résolu certaines énigmes.

L'hostilité (et l'incompréhensibilité) de l'Univers qui nous entoure est une notion dont se souviendront par la suite Lovecraft et Bradbury, très marqués par l'œuvre de Machen. À partir d'un objet de petite taille (une pièce romaine), quelque chose se dévoile et enfle jusqu'à prendre les proportions d'une horreur cosmique. Si tant est que nous puissions la voir sous une lumière crue, ce qui n'est pas le cas. C'est l'impression d'horreur qui est sans limite devant ce qui est partiellement manifesté ou suggéré. Cette horreur fonctionne sur le mode du strip-tease à ceci près qu'ici, il n'est pas question de plaisir mais du vertige qui s'empare de nous lorsque nous prenons conscience d'être au bord d'un gouffre sans fond et mystérieusement hypnotique. Céder ou ne pas céder? Faire un pas en avant ou s'enfuir et retrouver les innocentes flâneries dans le centre de Londres? Cette zone semble a priori protégée mais en fait, rien n'est moins sûr. Les délices sophistiquées de l'Occident, bien posées dans un centre-ville séculaire, ont une allure de forteresse inexpugnable mais pour combien de temps encore? Dès les premiers quartiers de banlieue, l'étrangeté s'impose avec une séduction très insidieuse. De ce point de vue, The Three Impostors est aussi une littérature de l'urbex (urban exploration). Quelle est la solidité de notre psychisme à mesure que nous avançons vers la fin du territoire urbain? C'est d'ailleurs à ce point-limite que se termine le roman. Plus loin, c'est-à-dire juste après, on se retrouve à la campagne. Monde de verdure, de bois et de montagnes aux allures de Paradis retrouvé? Non, puisque, ainsi que nous l'avons vu plus haut, ce dénuement convoque, derrière les atours d'un folklore idyllique, la démonialité, la régression dans l'horreur primordiale. Les trois imposteurs le savent, l'acceptent, s'en repaissent. Face à eux et en définitive, les trois dilettantes ont surtout l'air de trois crétins. Chez Machen, le réel n'a que faire des salons de thé!   

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