dimanche 9 juillet 2017

Summer poufiasses

J'ai les deux vieilles peaux juste devant moi, j'aurais voulu le faire exprès que je n'y serais pas arrivé. Moi, comme d'habitude, je polis de mon derrière la moleskine bordeaux de cette brasserie où j'ai mes habitudes (tant que je ne suis pas à la rue et que je peux me payer un thé vert). Mon ordi repose sur la table, devant moi, je vérifie mon courrier toutes les cinq minutes, en alternance avec un ou deux posts débiles sur Facebook et la traduction d'une nouvelle de Rip. Et puis je regarde de temps en temps la serveuse, pas vilaine (forcément). C'est calme, il n'y a pas trop de clients en ce début d'après-midi. Belle journée, belle saison (enfin, c'est ce qu'on dit). La nana, en noir et blanc (tenue de service) semble s'emmerder un peu, alors je la baratine en douceur. Au bout de dix secondes, j'arrive à la faire rire, sans que ce soit trop à mes dépens (pour une fois). La traduction avance, à son rythme.

ha ha ha

Chez moi dans mes quatre murs, j'ai un peu de mal, au bout d'un moment. Du coup je retrouve bien vite Momo Leskine, cet auteur russe tombé dans l'oubli.

Et puis donc, les deux vieilles dans mon champ de vision, soudain. Déjà repéré, le duo. Soixante-dix ans facile au compteur, pomponnées comme des affiches de mode chicos tendance. Les vieilles belles, en somme. Mes deux vieux grumeaux. Mes deux vieilles poufiasses. On ne se parle pas. L'une des deux a l'habitude de scruter en permanence autour d'elle, donc elle m'a fatalement repéré. Après, je ne sais pas la conclusion qu'elle tire de mon observation, et je m'en tape, n'ayant aucune tendance gérontophile. Non, je ne vais pas vous raconter une histoire de pipe sans dentier dans les chiottes de cette brasserie, non non.

Ces vioques, elles ont l'habitude de cancaner sur tout et rien, comme des gonzesses, quoi. Sauf qu'aujourd'hui, j'entends bien vite, malgré moi, que c'est la grande rupture. Devant leurs boissons, les voici qui règlent leurs comptes. « Tu m'as trahie », fait celle qui regarde autour. L'autre, un peu plus menue, fait calmement « non, non, pas du tout » et tente d'argumenter. L'autre n'en démord pas mais tout reste soft, ça ne s'engueule pas, c'est juste de la grande tragédie sous couvre-feu. Les bagouzes scintillent aux doigts, les tasses sont délicatement vidées, mais il s'agit bien d'une déchirure dans les formes. Le débat dure facile une demi-heure. Cela m'occasionne une distraction supplémentaire, il va sans dire.

Au bout du compte, to cut a long story short, je les reverrai, encore et encore. Elles se seront réconciliées la semaine d'après. Elles dégueuleront sur une absente, qui a forcément tort (en fait, tout est la faute de celle-là).

Retour à l'ordinateur. Ça avance, ne vous inquiétez pas. Enième thé vert. Très bon pour la santé, le thé vert. Léger psychotrope, de surcroît. La syntaxe, le lexique, le duel amoureux avec ce texte à traduire, cette Rencontre du troisième type au bar de l'Hôtel Redford, c'est du bon. C'est même carrément du jouissif.

Et puis les deux reviennent.

Sauf que ce ne sont pas les mêmes, ou alors elles ont rajeuni de cinquante ans. Deux petites jeunes, cheveux châtain, longs, shorts sexy de l'été, t-shirts bien tendus sur les poitrines.

Ton texte, Sunderland, ton texte à traduire, s'il te plaît. Il est interdit de bander. Rate pas ta phrase, connard, regarde bien l'original. Qu'est-ce qu'il a voulu dire ici, l'auteur, hein ? Comment tu vas rendre la chose ? Tu es traducteur sourciste ou cibliste ? Quel est ton point de vue ?

Euuhhh...

bmfklgrslsljjllkkkkll

Puis le charme est rompu lorsque celle qui se trouve assise à gauche sort à sa copine, très exactement : « Tu m'as trahie. » D'accord, d'accord, c'est de la poufiasserie intergénérationnelle, c'est la poufiasserie intergénérationnelle, l'inévitable vortex de la dépression vaginale, ce Triangle des Bermudes où tout va se perdre et d'où ne subsistent que d'acides sargasses. Cette fois (mon destin doit être de visiter d'un bout à l'autre le paradigme), il est question, non pas d'une troisième fille qui viendrait semer sa zone, mais d'un garçon nommé David. Forcément. Même au début, avec le bal des finissantes, c'était ça. Je le sais sans le savoir. La tierce personne avait beau être une femme, il y avait forcément un homme là-dessous. La ménopause n'y change rien. Alors, vous imaginez, avec ces deux débutantes devant moi...

Je dois bien l'admettre : elles me donnent encore plus envie de les baiser, ces petites jeunes. Ou de leur mettre à chacune une tarte dans la tronche, disons en préambule. Je sais : concrètement, je ne ferai jamais ça. Mais c'est pour dire. C'est du fantasme.

Donc voilà, David et sa bite. Au final, c'est centré sur la bite. Toujours. Je crois comprendre que David sortait avec une des deux, ça semblait bien parti pour durer, fidélité et tout, amour, gentils coups de bite le mardi soir (y avait pas cours le lendemain), le samedi (parce que c'était le week-end, il fallait quand même en profiter). Et puis il semblerait qu'il y ait eu un problème. L'ambiance est tendue entre les deux filles. Celle de droite tente de se défendre de l'accusation de trahison mais c'est un peu mou... C'est ce que j'ai envie de lui dire. La queue de David était bien plus endurcie dans sa détermination. L'autre a l'avantage, elle le sent, elle ne relâche pas le pilonnage. Comme avec les deux antiques de tout à l'heure, le ton de la voix demeure en-deçà du seuil de la colère. Elles n'en commencent pas moins à me fatiguer. J'ai envie de les sauter, ces deux bisexuelles qui s'ignorent, pas d'écouter leurs conneries. Comme si l'amour de nos vingt ans allait durer toute la vie... Quel manque de réalisme. C'est dommage, mais c'est comme ça : on est entrés dans l'ère de la fin des temps et des bites et vagins jetables.

Cette fois, je n'en peux plus : il faut que j'aille aux gogues.

Vous croyez que je vais sauvagement me branler, hein, bande de caves ?

Pas du tout : en fait, concrètement, je pisse quatre litres de résidu de thé vert (je vous ai dit que c'était bon pour la santé), je chie trois kilos d'étrons et quand je retourne à ma banquette, ô miracle, les deux filles sont parties. Oui, miracle, merci, car je vais enfin pouvoir retourner à ma traduction, l'esprit et les entrailles libres.


Il n'y a pas à dire, mais au final je passe quand même des après-midis intenses.

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